« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Interview I « Pour affronter l’urgence climatique, il faut sortir de l’austérité et du néolibéralisme »

Clémentine Autain

Interview publiée dans Le Point le 31 août 2018 à lire ici

Le Point : La démission de Nicolas Hulot, totem de l’écologie, marque-t-elle un échec dans la lutte contre les changements climatiques et autres défis environnementaux ?

Clémentine Autain : Je n’ai jamais cru qu’il y aurait une possibilité de mener la transition énergétique dans un gouvernement avec Macron qui est étranger à la cause environnementale. Rester enfermé dans l’austérité budgétaire ne permet pas d’investir dans la transition énergétique. Et le libéralisme économique, la course au profit, le monde marchand promus par Bruxelles comme par les gouvernements français successifs, c’est un moule totalement hostile pour répondre à l’urgence écologique et engager un changement de modèle social et économique. Le pari de Nicolas Hulot était au fond mal emmanché depuis le départ. Il a voulu le mener quand même et je trouve fort que, au bout d’un an seulement, il mette la clé sous la porte en pointant l’impossibilité de mener une politique écologiste en raison des traités de libre-échange, comme le Ceta, du régime sec des budgets publics, de l’obsessionnelle quête de croissance des élites dominantes et de leur incapacité à agir pour le temps plus long. C’est ce que nous ne cessons de répéter. Pour affronter l’urgence climatique, préserver la biodiversité comme notre santé et la vie humaine, il faut sortir de l’austérité et du néolibéralisme, et enclencher une transition vers un nouveau modèle de développement.

Vous saluez toutefois la manière dont Nicolas Hulot a annoncé son départ…

La façon dont Nicolas Hulot a démissionné peut provoquer un électrochoc. Macron perd sa pastille verte et cela fait partie, en cette rentrée politique, des éléments de dislocation de la macronie. On peut espérer que la parole de Hulot, forte de sa popularité et d’une crédibilité sur ces enjeux, suscite une prise de conscience. Il me semble qu’une conclusion politique s’impose : il y a bien un problème de « modèle dominant », pour reprendre son terme, qui ne permet pas aujourd’hui de faire face à l’urgence planétaire. Ce n’est donc pas « un geste plus un geste et la planète sera sauvée », mais bien une question qui, avec l’engagement social et citoyen, doit être prise en charge sérieusement sur un plan politique et institutionnel. C’est pourquoi la force politique qui porte les ruptures nécessaires doit grandir et gagner.

On a souvent dit que Nicolas Hulot avait avalé beaucoup de couleuvres. Quel bilan tirez-vous de son action ?

Nicolas Hulot a avalé les couleuvres et ne voulait sans doute pas avaler les boas qui arrivaient. Sur les grandes questions écologistes, le bilan macroniste est jalonné de reculs successifs, qu’il a d’ailleurs pointés. Il y a eu le symbole de Notre-Dame-des-Landes qui a peut-être fonctionné comme l’arbre qui cache la forêt. Tout le reste, ce sont des mesures non prises sur le gaz à effet de serre, la préservation de la biodiversité, le glyphosate, le nucléaire… Le bilan du gouvernement n’est pas vert mais noir. Hulot a contribué à ouvrir les yeux sur cette réalité.

L’ancien ministre de l’Écologie a dénoncé le rôle des lobbies jusqu’au sein de l’exécutif. Avez-vous ressenti cette pression en tant que parlementaire ?

C’est un fait, les cercles de pouvoir sont particulièrement connectés aux lobbies financiers qui se moquent bien de l’urgence environnementale. Ils forment un si petit monde qui recherche le profit à court terme et favorise le consumérisme au mépris des intérêts de la planète et de la population. Nous sentons bien la pression de ces lobbies sur le gouvernement mais y céder, c’est capituler. La macronie le fait parce que, au fond, il y a une collusion de vues et d’intérêt. Le gouvernement accueilli en grande pompe au Medef ne dit pas autre chose. La macronie est très éloignée de l’esprit public et de l’intérêt commun et plutôt conquise par le gratin du monde économique et financier, voire à ses ordres. En racontant qu’il y aura demain pour un ruissellement social et environnemental qui évidemment ne vient jamais.

Mais les ONG environnementales sont aussi des lobbies !

Les ONG aussi essaient de faire du lobbying et à raison ! La question, c’est de gouverner en ayant un projet politique écologiste et en décidant quels intérêts on privilégie : ceux d’une poignée de rentiers ou ceux du bien-être du grand nombre ? Or, à l’évidence, le gouvernement n’a pas choisi la préservation de la planète et le partage des richesses. Il est resté cloué dans les normes du vieux monde.

Votre militantisme féministe est à la base de votre engagement politique. Êtes-vous satisfaite de l’action de la secrétaire d’État à l’égalité hommes/femmes, Marlène Schiappa ?

Comment pourrais-je l’être ? D’abord, nous avons vécu un épisode qui m’a bouleversée, parce que je pensais qu’il y avait une possibilité de concorde nationale autour du sujet majeur des violences faites aux femmes. Après la vague #MeToo, ce gouvernement pouvait faire une loi qui prenne à bras le corps la question et qui permette d’investir sérieusement pour accompagner la libération de la parole. C’est ce qu’on attend des pouvoirs publics. Or, on s’est retrouvé avec une toute petite loi, mal fagotée, sans moyens. Ensuite, on a eu le cafouillage insensé sur les abus sur mineurs. Devant la bronca suscitée, le gouvernement a fini par reculer et modifier ses formulations, mais nous attendons toujours le seuil de non-consentement pour les viols sur mineurs de moins de 13 ans que nous avait promis le gouvernement. Enfin, le vote final de la loi a eu lieu début août, devant un hémicycle évidemment clairsemé. Toute cette séquence est pathétique, surtout quand on prétend faire des violences faites aux femmes une grande cause nationale. Les associations qui travaillent sur ce sujet ont exprimé leur immense déception. Je la partage.

Plus globalement, je constate que Marlène Schiappa n’a pas les moyens d’une politique qui changerait la donne en matière d’égalité hommes/femmes. Elle n’est pas ministre mais secrétaire d’État, et son budget reste terriblement faible. Je vois l’effort en matière de communication mais l’émancipation des femmes ne se paie pas que de mots. Et le féminisme a une histoire, que semble méconnaître Marlène Schiappa, qui lance pompeusement une ainsi nommée « première université d’été féministe », avec quelques curieuses invitées, comme Élisabeth Lévy de la revue Causeur, plutôt zémourienne qu’interlocutrice féministe. Il me semble que l’obsession de Marlène Schiappa à être bien en cour à l’Élysée prévaut sur son ambition pour l’égalité hommes/femmes.

Marlène Schiappa subit beaucoup d’attaques personnelles à caractère sexiste. Pourtant, on vous entend peu la défendre sur ce point…

Je pense qu’on est assez irréprochables sur ce terrain ! On a même fait un communiqué pour la présidente LREM de la commission des lois qui a subi des attaques sexistes. En revanche, avez-vous vu le moindre communiqué de presse en macronie pour défendre les femmes députées de notre famille politique qui subissent des campagnes ignobles, sexistes et racistes, notamment sur les réseaux sociaux ? Je n’en ai pas souvenir. Donc pas de leçons à recevoir sur ce terrain-là.

La rentrée 2018 s’annonce plus difficile que la précédente pour Emmanuel Macron. Est-ce le début du désenchantement ?

Macron a posé dès la première année un profil politique qui fait penser aux grandes heures de Margaret Thatcher : du libéralisme économique débridé assorti d’un autoritarisme, car, contrairement à ce qu’on nous raconte, les deux vont ensemble. Avec les cadeaux aux plus riches, on a eu l’état d’urgence permanent. Avec la casse de la SNCF et la hausse de la CSG pour les retraités, on a eu une loi hyper répressive contre les migrants et la remise en cause du droit d’asile. Macron n’a même pas voulu accueillir l’Aquarius. Il l’a laissé en plan, il a fallu que ce soit l’Espagne qui s’en occupe alors que le bateau passait par les côtes françaises. Au mépris même du droit maritime. L’an I, c’est la casse du droit du travail et des marqueurs très forts comme la réforme de l’ISF et la flat tax. On a donné des milliards à ceux qui n’en ont pas besoin.

Et l’an II, on cherche à faire les poches du grand nombre pour « équilibrer les comptes publics ». On nous fait la leçon sur la dette, on demande au grand nombre de faire des efforts au nom des générations futures. Avec Macron, c’est caviar pour les uns et rutabagas pour les autres. Et en plus de tout ça, Macron a dans son discours, très régulièrement, des phrases d’un niveau de mépris pour le peuple rarement atteint chez un président de la République. On a eu droit à « ceux qui ne sont rien », aux « illettrées », aux « fainéants » et tout récemment aux « Gaulois réfractaires à toute réforme ». Tout fonctionne comme si, en macronie, on se croyait au-dessus de tout, y compris au-dessus des lois. Parce que les épisodes de cet été laisseront aussi des traces. La fin de l’an I, c’est l’affaire Benalla, après l’affaire Pénicaud et avant l’affaire Nyssen. Un parfum d’ancien régime. Ce gouvernement est totalement hors-sol, déconnecté de ce que vit la majorité de la population et il nourrit un mépris insolent pour les catégories populaires.

Est-ce une aubaine pour les oppositions ?

Une aubaine je ne sais pas, parce que le désastre social et démocratique est là, et je ne m’en réjouis pas. Mais oui, cela apporte de l’eau à notre moulin. Les Français se révèlent chaque jour plus désenchantés face à ce bilan qui se dresse progressivement, face à la réalité de choix politiques qui se matérialisent sur la feuille de paye, à l’hôpital, avec la fin des contrats aidés, les budgets des collectivités à sec…

En février dernier, vous prôniez une plus forte ouverture de La France insoumise. Jean-Luc Mélenchon semble s’adoucir vis-à-vis des autres forces de gauche. Êtes-vous satisfaite de cette évolution ?

Cette année, La France insoumise a marqué le paysage politique, a affirmé son ancrage et sa place à l’Assemblée nationale. LFI a su prendre des initiatives et se trouve aujourd’hui en tête à gauche. C’est une réalité politique nouvelle qui doit être consolidée. Quand on veut être une force large à vocation majoritaire, il importe de faire vivre du pluralisme politique et d’ouvrir les portes et les fenêtres, et non pas de s’enfermer dans une tour d’ivoire en pensant qu’on a raison contre tous et que ça va avancer tout seul… Les Amfis d’été ont marqué une étape d’ouverture, et pas simplement sur les autres partis politiques.

Aujourd’hui, vous sentez-vous plus à l’aise au sein de votre groupe, vous qui avez été plutôt isolée à une période de l’année ?

Mon problème n’est pas de savoir si je suis à l’aise, je défends une orientation à laquelle je crois. Je veux contribuer à la constitution d’une force politique capable de grandir et porteuse d’un projet radical de transformation sociale et écologiste. Pour cela, je suis attachée au pluralisme et à l’esprit d’ouverture. Je pense que LFI est une chance là où l’Italie, par exemple, a vu le camp du progrès humain quasiment disparaître. LFI a une dimension expérimentale, elle rompt avec la forme traditionnelle des partis politiques du XXe siècle, en crise aujourd’hui. Personne n’a la martingale, il faut faire du neuf et c’est parfois déstabilisant. Je vais continuer à mettre au pot commun mes idées, mes convictions, et je suis très à l’aise avec ça !

Alors que les médias imaginaient des successeurs à Jean-Luc Mélenchon, lui a rétorqué : « Il n’y a pas de succession parce que nous ne sommes pas une monarchie. » Ne s’impose-t-il pas comme un leader trop fort ?

Un mouvement qui revendique la VIe République ne peut pas fonctionner comme une monarchie. Bien sûr, un jour quelqu’un succédera à Jean-Luc Mélenchon comme leader politique, mais le moment n’est pas celui-là. Mélenchon a été deux fois notre candidat à la présidentielle, obtenant des scores remarquables, et qui dispose de ce fait d’une place singulière dans le paysage politique et dans LFI. Mais les Insoumis ne se réduisent pas à Jean-Luc Mélenchon et d’ailleurs, de nouveaux visages, des profils divers émergent progressivement, ce qui est heureux. Je pense que la période qui s’ouvre doit permettre de construire plus fortement le collectif.

LFI doit-elle s’ouvrir davantage en vue des élections européennes en mai prochain ?

Oui, il faut s’ouvrir, même si travailler avec d’autres forces de gauche ne signifie pas nécessairement constituer des listes communes à chaque élection. Je pense que le spectre qui a été celui du « non » au traité constitutionnel européen mériterait d’être ravivé à l’occasion des élections européennes. C’était une dynamique politique, sociale, culturelle, intellectuelle. Là est la clé du rassemblement populaire. Je note par exemple que, malheureusement, le Parti communiste se lance pour les européennes sous sa propre bannière, et je le regrette. L’échec du Front de gauche a laissé des traces amères mais je constate à l’Assemblée et ailleurs que les convergences entre LFI et le Parti communiste restent grandes. Et nous verrons quelle orientation stratégique choisira le PCF à l’occasion de son Congrès en novembre. Quant à Génération.s et EELV, nous devons pousser les échanges et la discussion, mais il est clair que nous avons aujourd’hui un désaccord sur l’Europe.

Lequel ?

Nous estimons qu’on ne peut pas appliquer une politique de transformation sociale et écologiste dans le cadre des traités actuels. C’est une divergence d’analyse qui n’est pas artificielle mais de fond. On nous réplique alors : « Vous êtes pour un repli souverainiste. » Ce n’est pas mon point de vue. C’est parce que je tiens à l’idée européenne que je suis abasourdie par l’autodestruction en cours de l’Europe. Les dirigeants européens, Merkel et Macron en tête, piétinent l’Europe parce que, du point de vue des peuples, elle se trouve aujourd’hui détestable. Mais nous avons besoin d’un cadre européen parce que lutter contre le réchauffement climatique, régler la question des migrants ou combattre le pouvoir de la finance internationale ne peut se faire en se barricadant dans les seules frontières nationales. Ce que je défends, c’est la souveraineté populaire, à tous les échelons.

Ce que nous revendiquons, c’est de pouvoir appliquer notre programme si nous gagnons les élections françaises. Nous ne voulons pas être empêchés d’investir pour la transition énergétique ou de protéger des services publics et biens communs au nom de la règle d’or ou de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée. Le triste exemple de la Grèce nous oblige à affiner notre stratégie.

Faisons bien attention, ceux qui gouvernent et prétendent être le rempart aux extrêmes droites qui fleurissent en Europe n’en sont en fait, à leur corps plus ou moins défendant, que les accélérateurs. Face à eux, nous voulons ouvrir une perspective progressiste. Notre alliance nouvelle, l’appel « Maintenant le peuple » avec Podemos en Espagne, le Bloco au Portugal et bien d’autres mouvements européens de toute l’Europe, constitue un pas essentiel en vue de cette alternative.

Vous avez été élue députée l’année dernière pour la première fois. Avez-vous eu des déceptions personnelles en un an de mandat ?

Quand on est à l’Assemblée nationale dans l’opposition, on passe notre vie à être sinon déçus, du moins affectés par le résultat des votes ! Par ailleurs, le nombre de députés qui s’opposent au gouvernement au nom d’un projet émancipateur est faible comparativement à ce qu’on représente dans la société. C’est l’effet du mode de scrutin, étranger à toute proportionnelle. On le sait sur le papier, mais le découvrir physiquement à l’Assemblée est quelque chose qui frappe, et qui est assez révoltant. Et la façon dont la macronie considère l’opposition, comme si nous n’avions pas le droit d’exister, n’aide pas… On fait notre travail d’opposants, on exprime nos idées et on va continuer à le faire. Ça s’appelle la démocratie !

J’ai aussi été frappée par la place des femmes dans ce monde d’hommes. Je le savais, mon engagement féministe est ancien, mais je reconnais que la permanence du rappel à l’ordre des sexes ne lasse pas de m’interpeller. Nous avons du pain sur la planche pour avancer vers l’égalité dans ce lieu de pouvoir fait par et pour les hommes.

Et l’après, vous y pensez ? Ce mandat sera-t-il le seul ?

Faire bien celui-là déjà, voilà ce qui m’obsède. Je pense bien sûr à l’après, je me projette toujours dans un projet collectif à long terme, et j’y trouverai ma place d’une façon ou d’une autre, sans savoir par avance quelle elle sera. Je suis aussi très attachée à mon engagement pour la Seine-Saint-Denis, où j’ai l’honneur d’être élue. Si je ferme les yeux pour faire un rêve d’avenir : je nous vois arrachant des victoires qui améliorent la vie quotidienne de celles et ceux qui subissent depuis trop longtemps les coups durs d’une politique qui les méprise.

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