« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

« Mignonnes » : j’aime l’art quand il provoque et déstabilise

Clémentine Autain

J’aime l’art quand il provoque et déstabilise. « Mignonnes » est assurément de cette trempe. Sa sortie a d’ailleurs défrayé la chronique, notamment aux États-Unis où des franges réactionnaires bien trumpisées demandent l’interdiction du film. J’avais hâte de le voir… C’est sur grand écran au cinéma Jacques Tati, à Tremblay-en-France, que j’ai donc découvert ce premier long métrage, lors d’une projection suivie d’une rencontre avec la réalisatrice Maïmouna Doucouré.

Amy, une jeune fille de onze ans qui habite dans un quartier populaire du 19e arrondissement à Paris, cherche la liberté face aux modèles de féminité qu’elle observe à la maison et à l’école. D’origine sénégalaise, elle vit le drame de sa mère qui affronte la polygamie et scrute des collégiennes qui préparent un concours de danse. L’attirance pour cette bande de filles aux tenues modernes, qui rigolent, se connectent aux réseaux sociaux et découvrent la séduction, fonctionne en miroir du carcan traditionnaliste musulman et de l’oppression des femmes qu’Amy observe chez elle.

Maïmouna Ducouré réussit à saisir de façon hyper cinématographique, mêlant esthétique et symbolique, cette tension qui dévore la fillette. Particulièrement marquante, cette scène où la caméra est avec Amy, cachée sous le lit, devant les pieds de sa mère qui va et vient en pleurant au téléphone sur le nouveau mariage de son mari, m’a bouleversée. Cette focale de la caméra guidant notre regard se déploie de façon tout aussi saisissante quand les filles répètent et présentent leur chorégraphie pour le concours de danse. Progressivement, Amy et ses amies singent les poses adultes hyper-sexualisées qu’elles voient sur leurs écrans. Les voici lascives, les fesses en l’air et le doigt dans la bouche, sans mesurer le sens de leurs gestes corporels. Elles pensent gagner le concours grâce à cette copie de femmes célèbres qui cumulent les millions de vues et font fantasmer.

Le film nous place en situation de voir, certainement pas pour valoriser la sexualisation de pré-adolescentes mais pour prendre toute la mesure du danger et du problème social. Nous sommes conduits à un sentiment de malaise qui permet de nous interroger sur la libération des corps féminins affirmées dans le monde occidental qui pourrait n’être qu’un leurre, un piège. Amy se trouve dans l’impasse d’une alternative qui n’en est pas une. C’est aussi tout un univers propre aux catégories populaires, issues de l’immigration, qui est magnifiquement mis en scène. Trop peu souvent le cinéma nous y emmène, préférant les univers bourgeois pour conter les drames ou les comédies.

Le parti pris de la réalisatrice fait débat, et c’est en soi une réussite du film. Nous sommes placés dans la tête de ses petites filles, sans jugement prémâchés, sans pédagogie excessive. Et nous mesurons à quel point quelque chose ne tourne pas rond. Cette réalité devait être montrée et discutée. Maïmouna Doucouré le fait avec talent. Et tant pis, ou plutôt tant mieux, si ça dérange.

Clémentine Autain

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