« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

NOUS PAYONS L’AVEUGLEMENT À L’ÉGARD DE L’ÉCOLOGIE

Clémentine Autain

Le Covid19 est une grande répétition. Oui, la pandémie nous plonge brutalement dans la série des catastrophes en chaîne qui nous attendent avec les dérèglements du climat et de l’écosystème, bien nourris par la globalisation néolibérale.

Les écologistes alertent depuis longtemps mais l’aveuglement dogmatique des dirigeants, obsédés par le monde marchand, la santé financière, les normes de compétitivité, est tel que nous n’avons pas organisé la réponse par un changement profond de modèle de développement. Ce n’est pas faute d’avoir dit, manifesté, pétitionné dans tous les sens. Nous avons hurlé dans le désert idéologique des dirigeants des quatre coins du monde qui, au mieux, se sont parés d’une écologie de communication, au pire, ont assumé leur climato-scepticisme.

Nous voici tragiquement à l’heure des comptes.
Quel est le lien entre l’écologie et le coronavirus ? Les informations sur le sujet circulent un peu partout mais je les résume – n’étant pas du tout spécialiste, je brosse ici à grands traits ce que j’ai lu de dans Le Monde, sur le site de France Culture et surtout sur reporterre.net. Pas la peine d’aller imaginer un complot de laboratoire ou de l’armée américaine ! Il se trouve que, depuis les années 1940, on observe une augmentation régulière et significative du nombre d‘épidémies dites d’émergence. Comme le Covid19, plus de 60% de ces maladies infectieuses sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles sont issues d’animaux. Ces maladies (H5N1, SRAS, Ébola…) proviennent d’interactions entre les humains, les animaux et leur environnement. On connait le schéma : la population augmente, empiète sur les habitats naturels, contracte de nouveaux agents pathogènes qui mutent, s’adaptent aux humains, puis se propagent.

De plus en plus de scientifiques mettent en cause la déforestation et la pollution atmosphérique dans la propagation du coronavirus. Les chauves-souris, qui vivent dans les forêts, sont soupçonnées d’avoir transmis des maladies à des animaux domestiques mais également à d’autres animaux sauvages, comme le désormais célèbre pangolin. Cet animal à écailles, braconné en Chine et ailleurs, et qui se retrouve sur certains marchés très lucratifs, est montré du doigt dans le cas du Covid19.

Par ailleurs, les premiers foyers épidémiques se sont déclarés en Chine, en Iran et en Italie du Nord, des zones très polluées. Ce n’est pas un hasard, nous dit la chercheuse italienne Isabella Annesi-Maessano (https://reporterre.net/En-Chine-et-en-Italie-les-premiers-foyers-epidemiques-sont-des-zones-tres-polluees). La pollution est porteuse du virus parce qu’une contamination par aérosol est possible, même si la transmission de la maladie se fait principalement par gouttelettes. Les chercheurs de la société de médecine environnementale italienne ont montré que les cartes des zones les plus polluées recoupent celles du virus, là où le nombre de morts est le plus élevé. Il faut savoir que la pollution nous rend plus sensible aux infections. Les problèmes s’enchaînent…

L’enseignant-chercheur à l’Institut de biologie structurale de Grenoble, Emmanuel Drouet, prévient : « l’émergence de nouveaux agents infectieux pourrait augmenter dans les années à venir », si l’on ne contient pas les flux de déplacements humains et commerciaux, si l’on ne modifie pas l’usage des sols, si l’écosystème continue d’être si perturbé par l’activité humaine (https://reporterre.net/Le-changement-climatique-va-stimuler-les-pandemies-et-autres-menaces-sur-la-sante). De nombreuses infections sont étroitement liées aux températures et au taux d’humidité. Avec le réchauffement climatique, les moustiques peuvent amener dans de nouveaux territoires des maladies comme le Chikungunya ou la dengue. Le dégel des sols en zones arctiques menace de libérer des gaz à effets de serre, comme le méthane, susceptibles de réveiller des bactéries ou des virus oubliés, comme la variole.

Pour appréhender ces menaces sérieuses, imminentes et massives, nous avons d’abord besoin d’une recherche scientifique plus importante et non soumises aux impératifs de rentabilité financière, aux lobbys économiques. Ces derniers temps, les arbitrages dans ce domaine ont été désastreux, pour ne pas dire criminels. Des projets de recherches sur les « pan vaccins » existaient mais n’ont pas été financés. Ils n’ont pas été retenus dans les appels d’offre parce qu’il n’était pas en pointe, pas prioritaires, que leurs débouchés étaient jugés peu importants, comme le rappelle le chercheur au CNRS Gérard Chaouat dans un entretien dont je vous recommande la lecture (https://npa2009.org/arguments/sante/coronavirus-aurait-pu-sans-doute-avoir-un-vaccin-et-ou-des-traitements-prets). La privatisation exponentielle du financement de la recherche est un désastre pour l’intérêt commun. Exemple frappant : en novembre 2019, le poste de virologue de l’Institut Pasteur du Laos a été supprimé. De manière générale, les Instituts Pasteurs ont du mal à boucler leur budget et à recruter des chercheurs, de plus en plus attirés par le privé et la recherche en laboratoire. C’est pourtant sur le terrain, au Vietnam, qu’Alexandre Yersin a découvert le bacille de la peste ou, en Tunisie, qu’Alphonse Laveran a révélé l’agent du paludisme.

Se préparer à ces crises multiples qui sont devant nous, c’est d’abord ouvrir les yeux sur la réalité, se donner les moyens scientifiques de mieux connaître les dangers pour mieux les combattre. C’est donc anticiper en investissant dans la recherche et dans les systèmes de santé, de protection, de solidarité. C’est aussi modifier radicalement – au sens de prendre à la racine du problème – notre modèle de développement pour prévenir les drames, permettre qu’il reste un monde vivable pour les humains et élever le niveau de leur qualité de vie comme de leur liberté. Si nos avions et nos routes continuent de tout dévaster, si le consumérisme poursuit sa course folle, si le commerce international se développe toujours au mépris de la relocalisation de l’économie et du partage des richesses, si l’agriculture reste majoritairement intensive… nous accumulerons les catastrophes.
Il faut un gigantesque changement de cap.

C’est pourquoi l’affrontement politique majeur se joue, dès aujourd’hui, entre ceux qui veulent reprendre le « business as usual » ou se murer dans un repli nationaliste et autoritaire, dénué de toute prise de conscience environnementale, et ceux qui se battent pour de nouvelles normes sociales et écologistes, affranchies du productivisme et de loi du profit. Ma conviction est que l’issue émancipatrice au long cours se situe dans une articulation nouvelle entre le social et l’écologie.

Avanti popolo !

Clémentine Autain

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