« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

AVEC LE CONFINEMENT, C’EST L’EXPLOSION DES VIOLENCES INTRAFAMILIALES

Clémentine Autain

Vendredi après-midi, à Tremblay-en-France, un père a battu à mort son enfant. L’homme a roué de coups son fils de six ans, retrouvé en état de mort cérébrale par les secours, appelés par la mère, témoin de la scène comme ses autres enfants. 

À l’annonce du confinement, comme vous peut-être, j’ai vite pensé à toutes les violences intrafamiliales qui risquaient d’augmenter. Le confinement place les familles dans une situation d’isolement et de stress évidemment propices à l’augmentation de ce type de drames. Au contact étroit et permanent avec l’enfant, le parent qui vit la situation de confinement comme un accélérateur d’angoisses et de pathologies diverses peut plonger dans l’agression violente avec davantage de rapidité et d’intensité. Enfermés, les enfants ne peuvent plus compter sur les signaux d’alerte qui, d’ordinaire, sont susceptibles de s’enclencher à l’école, chez le médecin, grâce à des amis.

En temps normal, si j’ose dire, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l’un de ses parents, selon un rapport de l’IGAS (Inspection générale de l’action sociale) remis en avril 2019. Un chiffre sans doute sous-estimé puisqu’il ne tient pas compte des meurtres non révélés, des nouveaux nés tués à la naissance. On constate toujours, avant le geste létal, des violences antérieures répétées. Le coup fatal n’arrive pas du jour au lendemain, il s’inscrit dans un processus d’humiliations psychologiques et d’agressions physiques. Les parents violents, à égalité entre les pères et les mères (en particulier dans les familles monoparentales), souffrent souvent de troubles psychiatriques ou d’addictions. Et les violences conjugales constituent un environnement favorable à l’enfance maltraitée. 

En période de confinement, tout s’accélère. Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a révélé, lors d’une émission spéciale de France 2 sur la crise sanitaire (si spéciale d’ailleurs qu’aucun membre de l’opposition n’a eu le droit de s’exprimer, comme si la démocratie était elle-même confinée !), que les violences conjugales ont augmenté de 36% en une semaine dans la zone de la préfecture de police de Paris et de 32% en zone gendarmerie. À vrai dire, je n’avais pas imaginé un tel niveau de carnage. On observe d’importantes variations en fonction des territoires, le Nord étant plus touché que l’Ouest par exemple. À Reims, je lisais hier dans Le Parisien que ces violences ont représenté 40% des gardes à vue la semaine dernière !

Autant vous dire que le milliard que nous n’avons pas réussi à arracher au gouvernement après tant de mobilisation grâce à la vague #MeToo contre les violences conjugales me fait plus mal au bide que jamais. 

Les bonnes nouvelles ne viennent pas du gouvernement mais de la mobilisation sociale et citoyenne. La solidarité s’organise, c’est assez impressionnant. J’ai vu que la Fédération Solidarité Femmes, réseau de 67 associations spécialisées, vient de collecter 50.000 euros pour acheter des nuitées, des produits de première nécessité, de l’équipement informatique et téléphonique… Sur Twitter, par le biais de l’association Nous Toutes, des lieux d’hébergement chez des personnes volontaires tentent de se mutualiser. À des échelles micro-locales, des collectifs plus ou moins structurés viennent en aide, dans l’urgence, aux femmes et enfants en situation détresse. Oui, il y de l’auto-organisation ! Cela ne remplace pas des politiques publiques bien financées et qui se déploient à partir d’un maillage bien pensé, cela n’est pas aussi efficace que des réquisitions immédiates et en nombre suffisant de chambres d’hôtel par l’État pour les femmes violentées (eh oui, il faudrait oser l’incursion dans la propriété privée) mais c’est vital pour de nombreuses victimes. 

Le confinement implique de redoubler d’efforts.

Quand on ne maîtrise plus ses allers et venues, quand la liberté est à ce point malmenée, quand la vie sociale est réduite à presque rien, quand tout se ferme, il y a un prix à payer sur la vie humaine. C’est pourquoi le confinement est une méthode qui n’est pas seulement coûteuse du point de vue économique. Elle a son revers de mise en danger psychologique et de violences démultipliées. Je parlais hier avec une aide-soignante qui me racontait tous les cas qui arrivaient dans son hôpital pour tentative de suicide, notamment par défenestration. 

Les dégâts vont être terribles. Je me demande si au sommet de l’État on a anticipé ces graves dommages de la méthode de confinement face au Covid19. Je pense aux situations les plus extrêmes mais aussi aux méfaits sur l’état physique et mental de nombre de nos concitoyen.ne.s. Les pouvoirs publics vont-ils organiser une réponse, un accompagnement, une hausse de la prise en charge et des soins ? Ou l’austérité et le chacun pour soi vont-ils encore tout emporter ?

Le Premier ministre a annoncé hier que nous repartions pour quinze jours d’enfermement. Au moins. Si le plan de sortie n’est pas rondement mené, notamment par une production organisée et anticipée – matériels pour les hôpitaux et la protection au travail, kits de tests massivement disponibles -, je redoute que nous soyons encore confinés pour un long moment, sauf à prendre le risque de sortir de cette situation sans être prêt d’un point de vue sanitaire. Or, pour ne prendre qu’un exemple, mais il est symptomatique, l’entreprise Luxfer, la seule à fabriquer en Europe des bouteilles d’oxygènes dont nous avons cruellement besoin, n’a toujours pas été réquisitionnée : ses ouvriers continuent d’implorer l’État pour se remettre au travail. En écouter le gouvernement, à lire le grand entretient du ministre Olivier Véran aujourd’hui dans le Journal du Dimanche, je ne vois toujours pas de plan précis, global, pour nous conduire au dé-confinement. C’est flou, dramatiquement indigent.

J’appelle à la discipline en matière de confinement parce que nous n’avons pas le choix. Si au mois de janvier, les choses avaient été autrement envisagées par l’État, nous n’en serions pas à recourir à cette méthode d’un autre temps et à ses effets désastreux. Mais nous en sommes là…. Je termine en rappelant deux numéros verts d’urgence : le 119 pour l’enfance maltraitée et le 3919 pour les violences conjugales. Et en envoyant tout mon courage et ma solidarité à celles et ceux qui sont assignés chez eux dans un foyer maltraitant, avec un parent ou un conjoint violent.

Clémentine Autain

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