« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Nouvelle-Calédonie : à quand la fin de la France coloniale ?

Clémentine Autain

« Voyez comme le colonialisme est perfide, têtu, funeste » – Aimé Césaire

A près de 17 000 kilomètres de la métropole, la Nouvelle-Calédonie s’embrase. Depuis mardi, cinq personnes sont déjà mortes : deux militaires et trois civils. Ce qui menace, c’est un retour en arrière de près de 40 ans, à l’époque où l’on parlait, comme en Algérie, « d’évènements » pour jeter un voile pudique sur ce qui était une guerre civile.

Colonisée par les Français en 1853, la Nouvelle-Calédonie a perdu son statut de colonie pour celui de « Territoire d’Outre-Mer » dans les années 1950, au cœur du grand moment historique de la décolonisation. Elle est, ainsi qu’une poignée d’autre îles, un reliquat, une scorie des impérialismes français et britanniques. Au regard du droit international, elle appartient à la liste des territoires non autonomes dressée par l’ONU, au même titre que la Polynésie française, ceux où « la population ne s’administre pas elle-même ».

De brutalité en brutalité

L’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie a été faite de sang, et de réconciliation. C’est entre 1988, avec les accords de Matignon, et 1998, avec les accords de Nouméa, que s’est construit un équilibre fragile entre les indépendantistes et les partisans du pouvoir central.

Il était légitime, pour des raisons de droit, d’ouvrir à nouveau la discussion sur le corps électoral et l’avenir de l’île. Il est de toute façon indispensable que le dialogue continue et qu’une solution politique en émerge.

Mais une fois encore, le président Macron et les siens ont fait le choix de la brutalité au mépris du dialogue. Matignon a été dessaisi du dossier au profit du ministère des Outre-Mer, qui est aussi celui de l’Intérieur, préfigurant ainsi le remplacement d’une lecture politique des évènements par un prisme sécuritaire. Macron maintient un troisième référendum alors que les indépendantistes en demandaient le report. Et il fait ajouter 25.000 personnes (11 %) au corps électoral sans concertation locale. Ces brutalisations, avec d’autres encore, sont responsables de la situation actuelle.

C’est ainsi qu’a été présenté aux forceps un projet de loi constitutionnel en Nouvelle-Calédonie, adoptée dans la nuit du 14 au 15 mai et qui a ouvert le cycle de violences que nous connaissons.

Macron ne sème que la violence

Il est évident que la crise qui bat son plein est de nature politique, puisqu’elle oppose un « processus de décolonisation », tel que qualifié par les accords de Nouméa, à une vision macroniste rétrograde, tendant à revenir à la situation antérieure aux années 1980. C’est de cette tragique erreur que nait le déchainement de violences aujourd’hui.

Dans un troublant parallélisme des formes avec la politique de Guy Mollet en Algérie, le gouvernement s’enferme dans une réponse de type « maintien de l’ordre », en proclamant à cor et à cris l’envoi de l’armée, puis de troupes supplémentaires, puis la mise en place de l’état d’urgence… C’est la fuite en avant d’un pouvoir qui se trouve dos au mur suite à ses erreurs historiques.

Puisque le caractère brutal de la Vème République va croissant, nous arrivons à des situations complètement invraisemblables. Qui aurait pu parier, alors que l’Italie est aux mains de l’extrême-droite, elle-même en embuscade dans le reste de l’Europe, que la France serait le premier pays européen à suspendre sur son territoire l’usage d’un réseau social, Tik-Tok en l’occurrence ?

Voici donc la France, prise dans les atermoiements erratiques d’un pouvoir ivre de lui-même, rentrer au sein du club très fermé des Etats qui contrôlent l’accès aux réseaux sociaux de ses concitoyens. Pourtant, nous demeurons normalement un État de droit, et je suis curieuse de savoir sur quelle base légale le gouvernement a pris cette décision. Nul doute que les juridictions républicaines corrigeront le tir, sous peine de créer un dangereux précédent.

En tout cas, la responsabilité impérieuse du gouvernement est de revenir en arrière toutes affaires cessantes. Il ne suffit pas de reporter la date du Congrès qui doit se réunir pour modifier la constitution et le corps électoral : il faut conditionner sa tenue à la reprise des négociations immédiates et sur le sol calédonien. Les dirigeants de notre pays doivent surtout assumer, et être au clair avec ce que cela signifie, que la France a été une puissance coloniale et que celle-ci n’est pas encore totalement démantelée.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être une valeur cardinale.

Clémentine Autain

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