« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

QUEL SOUFFLE !

Clémentine Autain

Cette journée aurait pu ressembler à un baroud d’honneur…. Ce fut un pied de nez impressionnant à la stratégie du pourrissement conduite avec acharnement et mépris par Emmanuel Macron et les siens. Il y a le nombre : les chiffres de manifestants se situent dans les hautes eaux. Plus de 350.000 à Paris selon la CGT, nettement plus que les 250.000 revendiqués le 16 janvier. A Bordeaux, selon la préfecture cette fois-ci, 7.500 défilaient aujourd’hui, contre 4.500 il y a huit jours. Au Havre, entre deux et trois fois plus de monde que la dernière fois.

A la hausse de la mobilisation s’ajoute la tonalité : l’amplification se traduit également par une forme de contestation joyeuse, impertinente, créative. La lutte prend une tournure visuelle détonante qui vise à marquer l’espace public et les esprits. Les flambeaux ont illuminé les rues dans toute la France contre des retraites en lambeaux. Les slogans se multiplient sur les murs des villes : « On veut des vieux jours heureux », « Tout vient à poing à qui grève ensemble », « Marre de simuler ma retraite, je veux en jouir ! », « Les miettes, c’est pour les pigeons »… Les robes d’avocats, les blouses de médecins, les cartables se jettent et s’empilent. Les rats de l’Opéra dansent, les pompiers se couchent par terre. Les chansons parodiques se multiplient, avec le tube d’Attac qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux : « A cause de Macron ! ». Si les cheminots et les agents de la RATP tirent la langue après des dizaines et des dizaines de jours sans salaire, ce sont d’autres secteurs de la société qui prennent le relai. L’élan est impressionnant, le souffle de longue durée. La colère ne se tarit pas et les sondages sont bien obligés de constater qu’aujourd’hui encore, ce sont plus de 61% des Français qui rejettent la contre-réforme des retraites. Et sept Français sur dix pensent que le mouvement va continuer.

Face à une telle lame de fond, que fait le pouvoir en place ? Il fonce dans le mur, il provoque, il s’obstine. Alors que le projet de loi, déposé ce matin en Conseil des ministres, entrera en débat à l’Assemblée nationale mardi prochain, le Président de la République a lancé aux récalcitrants d’aller se faire voir en dictature. Les mots d’Emmanuel Macron, dans l’avion entre Jérusalem et Paris, sonnent comme une énième provocation d’une arrogance inouïe : « L’idée que nous ne serions plus dans une démocratie, qu’il y a une forme de dictature qui s’est installée. Mais allez en dictature, une dictature c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois ». Rien qui puisse calmer, apaiser, convaincre. Tout est en coup de force. Le pouvoir en place veut écraser la contestation, l’assécher par la force et la contrainte. Il utilise tous les leviers de la Ve République et s’appuie sur tous les réseaux du monde dominant prêts à porter main forte pour imposer son projet et affirmer sa toute-puissance. Or ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’incroyable résistance populaire. C’est déjà une première victoire. Ce qui se crie et s’invente peut-il rester sans lendemains ou surlendemains qui chantent ? Je ne le crois pas.

Menu