Les habitants du Puy-en-Velay, de Sevran et du cœur de Marseille partagent une même colère qui se propage depuis plusieurs décennies. Des bourgs aux villes, des hameaux aux grands ensembles où se trouvaient les services aux publics, l’écoute, l’entraide, se dessinent maintenant l’abandon voire la disparition de l’État et de toutes ses fonctions vitales pour la vie quotidienne de millions de personnes.
Ce sont nos hôpitaux, nos écoles, nos transports en commun, notre justice… Ils servent nos besoins fondamentaux. Ils sont source de cohésion sociale. Ils sont les mieux à même de répondre aux nouveaux défis, de l’allongement de la vie à la transition écologique, en passant par la liberté des femmes. Or les politiques de privatisations en chaîne et de réduction de la dépense publique ont abîmé ces services essentiels à une bonne vie, partout et pour tou.tes.
Défendre les services publics et tous les agents qui les font vivre, c’est réaliser notre objectif de « gouverner par les besoins ». C’est s’adresser aussi bien aux employées à domicile qu’aux ouvriers du bâtiments, aux femmes en famille monoparentale qu’aux commerçants ou aux enseignants. Cette bataille est un ferment d’unification populaire. Une mine d’or pour faire reculer le sentiment de déclassement. Une façon d’emmener la société toute entière vers un « mieux commun », dans un sens inverse aux logiques à l’œuvre depuis des décennies.
Deux publications résonnent avec cette réalité que chacun, chacune, à la mesure de sa vie quotidienne, est amené à expérimenter ou à subir… Le livre de Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique (Seuil), pointe les inégalités d’accès aux services publics comme facteur, avec la désindustrialisation, de la montée de l’extrême droite dans les campagnes et les territoires périurbains. Le rapport du collectif « Nos services publics », quant à lui, dénonce le décalage entre l’augmentation des besoins et la dégradation des services publics, en soulignant l’inégalité croissante en fonction des territoires.
L’obsession de comprimer le budget de l’État a asphyxié les services publics. À chaque étape de la vie, c’est le délabrement : de la crèche au chevet de la fin de vie, en passant par l’école et l’emploi. Et comme d’habitude, devant les dysfonctionnements en chaîne bien réels vu le manque de moyens et le nouveau « management », nous voilà sommés de reconnaître que le marché répondra bien mieux aux besoins… Lorsqu’on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.
Les services publics constituent un sujet de confrontation politique avec les droites. Même si le Covid les a contraints à modifier un peu leurs discours, l’offensive contre ce qu’elles qualifient de « dépense inutile », sacrifiant en passant ses millions d’agents, donne lieu à des discours récurrents de dénigrement. On connaît la chanson…
« Les fonctionnaires sont des privilégiés et des feignants », nous rabâche-t-on depuis tant d’années, en dépit du réel. Ils et elles sont tellement privilégiés que nous peinons sévèrement à en recruter ! À l’hôpital, c’est l’hémorragie. Des postes sont ouverts mais ne trouvent pas preneurs. Les concours dans l’enseignement laissent eux aussi des emplois vacants. Pour cette rentrée, 3000 postes ouverts n’ont pas pu être affectés faute de candidats obtenant les concours… La dégradation des conditions de travail y est pour beaucoup. La rémunération sans doute plus encore. Il faut dire qu’entre 2009 et 2019, le salaire des fonctionnaires a stagné quand celui des salariés du privé a augmenté de plus de 13%.
« Le privé fait mieux que le public », nous dit-on si souvent. Il fait tellement mieux que nous pouvons tous constater que nombre de secteurs privatisés marchent infiniment moins bien que quand ils étaient publics. Je pense à La Poste ou à la SNCF qui, à mesure que ces entreprises s’ouvrent à la concurrence et voient des parts de leur activité être privatisées, ferment des guichets ou des lignes et donnent de moins en moins de satisfaction aux usagers. On se souvient du scandale dans les EHPADs, signe que le privé peut conduire à des horreurs quand il s’agit de prendre soin de la personne humaine. On voit aussi avec le récent livre, Le prix du berceau, que laisser le privé s’occuper de la petite enfance peut aboutir à un traitement inimaginable des tout petits, que l’on découvre ici enfermés dans une pièce noire, ailleurs avec des couches qui débordent toute la journée ou des repas manquants.
« Il faut réduire le nombre de fonctionnaires et la dépense publique », entend-on sur tous les tons à droite. Comme si augmenter la contribution des grands groupes et des hyper riches ne pouvaient pas permettre de répondre aux besoins de la majorité de la population, de financer les services publics. Comme si diminuer le nombre d’agents de la fonction publique pouvait constituer un projet en soi et permettre de satisfaire les besoins croissants. Une telle logique revient évidemment à privilégier ceux qui ont les moyens de se payer des soins médicaux, des transports privés, des cours de soutien pour les enfants en difficulté, et j’en passe.
Ces discours se sont largement imposés dans le débat public. Ce sont des leitmotivs dévalorisants pour les personnels qui font vivre des services fondamentaux. L’heure est venue de renverser ces discours. Avec ardeur et détermination. La vérité, c’est qu’il n’y a pas assez de fonctionnaires et trop de précaires dans la fonction publique. La vérité, c’est que notre société doit mieux les reconnaître, les considérer, les rémunérer. La vérité, c’est qu’il est nécessaire d’étendre le champ d’intervention des services publics plutôt que de le réduire. Le quatrième âge et les moins de trois ans ont besoin d’un service à leur mesure puisqu’on vit plus longtemps et que les femmes aspirent légitimement à ne pas être enfermées à la maison pour garder leurs bébés. La transition écologique suppose d’investir dans un service public de la rénovation des bâtiments, dans la mise sur pied de lieux de recyclage et de réparation dans de proximité, dans le développement de la recherche sur les énergies renouvelables… Le numérique ou le médicament méritent l’un comme l’autre un pôle public. Il nous faudrait encore des maisons des femmes pour accompagner leur émancipation ou développer les lieux de culture au plus près de tous les publics. Bref. Je crois à la modernité des services publics qui sont, plus que jamais, le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Je les entends d’ici nous rétorquer : « vous voulez creuser le déficit, les caisses sont vides ! ». Mais il n’est pourtant pas compliqué de les remplir ! Sous Macron, les baisses d’impôts ont représenté 50 milliards d’euros. Qui en a profité ? Les hyper-riches et les grands groupes économiques. Les dividendes pleuvent et les services publics dépérissent. C’est une folie. Investir dans les services publics, c’est contribuer activement au partage des richesses, à la redistribution souhaitée par une écrasante majorité de Français. Et ce n’est pas l’extrême droite qui risque de le faire, elle qui cherche sans cesse à réduire les taxes, à ne pas déranger les grands groupes économiques et à ne pas toucher aux revenus des plus riches. Jamais elle ne saura dégager les moyens pour améliorer ces services publics. La mise en commun n’est pas son projet.
Alors, allons-y ! Mettons un coup d’arrêt aux discours dépréciatifs sur les services publics ! Disons clairement qu’une fois au pouvoir, nous investirons dans ceux existants et nous en créerons de nouveaux en fonction des besoins émergents. Que nous en finirons avec le gel du point d’indice qui, depuis 2010, est un scandale. Que nous arrêterons avec le management du chiffre, comme la T2A dans les hôpitaux, qui déshumanise et dépossède les agents de leur travail. Car prendre soin des agents du service public, c’est prendre soin de la France, c’est prendre soin de nous.
Clémentine Autain