Le choix des socialistes de ne pas voter la censure du gouvernement n’est vraiment pas une bonne nouvelle. Il inquiète sur la stratégie de fond du PS, sur lequel continue de peser le bilan de l’ère Hollande. Il contribue à diviser le NFP, qui n’était déjà pas au sommet de sa forme.
Ce qui se joue, c’est la perspective d’une victoire face à Marine Le Pen. Le moment n’est donc pas à s’engouffrer dans la brèche pour achever le NFP, en niant les différences politiques entre les partenaires du NFP et parmi ses électeurs.trices. Il est à réaffirmer que seul un projet de rupture avec quarante ans de politique néolibérale, porté par l’ensemble des forces de gauche et écologiste, peut créer la dynamique pour gagner face au RN, améliorer la vie des Français.es et leur redonner le moral. Cela suppose de la clarté sur le fond et la recherche inlassable d’unité.
La situation dans laquelle nous a placés Macron, qui méprise au plus haut point le résultat des élections et inquiète autant qu’il sidère dans le pays, est inédite. Dans ce contexte, je comprends que l’on puisse tenter d’arracher des gains concrets et chercher à polariser à gauche les éventuelles inflexions de ce gouvernement, qui ressemble pourtant furieusement au précédent. Le RN ne se prive pas d’amener toujours plus à lui Macron et ses alliés. Mais dans une négociation, si le compte n’y est pas, il faut savoir dire stop. C’est d’ailleurs l’enseignement retenu par la majorité des député.es de gauche et écologistes – 131 sur 192 ont voté la censure. Car, quelle que soit la teneur des discussions dans tel ou tel bureau de ministre, le couperet est tombé avec le discours de politique générale de François Bayrou : – ce qui a été obtenu n’est pas suffisant pour remettre en cause la censure d’un gouvernement qui, après d’autres, amène le pays dans le mur.
Sur la vie chère, l’industrie, la transition écologique, les libertés, c’est le néant.
Sur les services publics, c’est d’une insoutenable légèreté.
Sur les recettes permettant d’équilibrer le budget de l’État et d’investir, c’est le minimalisme le plus affligeant.
Enfin sur les retraites, point essentiel et hautement symbolique, Bayrou remet dans les mains des « partenaires sociaux » le soin de trouver une solution. Avec le Medef dans le tour de table, l’abrogation de la réforme des retraites pour ne pas travailler deux ans de plus ou avoir des pensions au rabais, abrogation voulue par l’écrasante majorité des salarié.es, ne sera évidemment pas le point d’arrivée. Et, nous dit Bayrou, s’il n’y a pas de consensus pour une solution apportant plus de justice, alors la réforme actuelle continuera de s’appliquer.
Devant cette situation, pourquoi les socialistes s’entêtent-ils à ne pas censurer ? J’espère que nous les convaincrons de le faire si le budget ressemble à ce qui est annoncé, s’il se trouve imposé par un 49.3.
Ce n’est pas nous qui, en votant la censure, augmentons la crise qui vire à celle du régime. Le responsable est à l’Élysée. Et il n’est pas seul, même s’il est profondément affaibli. Des forces politiques et médiatiques soutiennent cette folle voie macroniste qui consiste à imposer, grâce au pire de la Ve République, une politique de régressions sociales, écologiques et démocratiques rejetée par les Français.es. Cela ne peut pas tenir. Bien sûr, Marine Le Pen peut tirer les marrons du feu. Mais nous pouvons aussi être le pôle qui cristallise la soif d’autrement. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’en réalité, ce sont surtout les députés RN qui, en ne votant pas la censure, sauve Bayrou…
Dans la tempête, il ne faut pas avoir peur mais maintenir le cap et se préparer. Notre tâche est de construire l’alternative politique capable d’emmener une majorité. Et donc de travailler. Au récit. Au programme. À la structuration d’un cadre unitaire. Tout cela, il ne faut pas le faire en cercle fermé mais avec les forces vives, sociales, citoyennes, culturelles du pays. Il y a une urgence absolue à sortir du marasme dans lequel la gauche semble plongée et à se retrousser les manches. Le seul rendez-vous inscrit dans le paysage qui va dans ce sens, ce sont les vœux le 29 janvier prochain à Pantin de « gagnons ensemble », emmené par Lucie Castets et Marine Tondelier.
En attendant, prenons garde à la reconstitution des « deux gauches irréconciliables », dont certains rêvent, en espérant sortir vainqueurs – mais avec quel résultat pour le pays ? Par son choix, le PS prend le risque de fragiliser un NFP déjà mal en point, et de raviver les attaques, parfois violentes et disproportionnées, des insoumis contre les socialistes. Sortir de cet engrenage est une impérieuse nécessité.
Si le peuple de gauche se laisse sidérer par cette partition, le scenario du pire est devant nous. S’il se met en mouvement pour déjouer le renoncement, le sectarisme et l’éclatement, alors les jours heureux nous attendent peut-être plus vite que prévu.
Clémentine Autain