Lundi dernier, lors d’une réunion téléphonique avec les élus du département de Seine-Saint-Denis, le préfet saluait un fait : il n’y avait pas davantage de morts du Covid19 sur notre territoire que dans les autres départements. J’en étais soulagée mais je n’arrivais pas à y croire. Ce constat m’avait vraiment étonnée. D’ailleurs, il fut de courte durée. C’est par la presse hier que nous avons découvert une véritable explosion : entre le 21 et le 27 mars, les décès ont bondi de +63 % par rapport à la semaine précédente. Pour éléments de comparaison avec deux départements voisins, la hausse atteint 32% à Paris et 47% dans le Val-d’Oise. En Moselle, elle est de 45%. L’écart est tristement notable…
Nous aurons un jour des éléments précis sur les raisons de cette surmortalité, sur l’ordre d’importance des facteurs, mais différentes réalités me semblent amener à ce sinistre résultat, d’autant plus frappant que notre département est particulièrement jeune, ce qui le protège pour une part de la mortalité du virus.
Les métiers indispensables dans cette période de confinement, ce sont notamment les caissières, les aides-soignantes, les livreurs, les agents d’entretien, les chauffeurs de transports en commun… Or ces catégories socio-professionnelles recrutent largement dans les milieux populaires qui composent notre territoire. Ces professionnels sont loin d‘avoir tous accès – ou alors souvent tardivement – à une protection adaptée alors qu’ils et elles sont sommées de travailler. Quand il s’agit de choisir entre travailler sans protection ou assurer la fin du mois, les plus précaires sont les plus vulnérables. En Seine-Saint-Denis, la population est donc globalement fragilisée par son faible niveau de revenu et une insécurité professionnelle bien supérieure à la moyenne nationale. Dans un autre monde – le fameux monde d’après ? -, une considération des métiers reposant sur les valeurs d’utilité et de pénibilité amènera peut-être à reconsidérer la hiérarchie des revenus et de la reconnaissance sociale… Pour l’heure, celles et ceux que certains semblent découvrir comme indispensables à nos besoins essentiels triment pour peu de rétribution et prennent des risques puisque le danger n’a pas été correctement anticipé, le matériel faisant ici et là cruellement défaut.
Nous savons par ailleurs que les populations les moins dotées socialement sont le plus sujettes à l’obésité, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. Or ce sont des facteurs de comorbidités dans le cas du Covid19. La population de Seine-Saint-Denis peut donc être impactée plus fatalement. En revanche, notre système de soins est structurellement sous-doté. Par exemple, nous avons trois fois moins de lits de réanimation qu’à Paris. Le personnel soignant y est compétent et mobilisé, souvent même particulièrement engagé comme dans le monde enseignant, par exemple, mais les moyens mis à dispositions par l’État sont depuis longtemps inégaux par rapport à d’autres territoires. Nous en payons le prix aujourd’hui.
Par ailleurs, le confinement n’est pas le même dans un grand appartement spacieux et agréable que dans un cadre confiné ou insalubre. Ce n’est pas seulement un problème – réel et terriblement injuste – de confort de vie, un enjeu scolaire majeur puisque les devoirs ou cours à la maison sont facteurs d’inégalités. C’est aussi un enjeu pour permettre de la distance de protection entre les personnes. Contrairement aux stéréotypes, le respect des normes de confinement est le même en Seine-Saint-Denis que partout ailleurs. Mais les conditions pour s’y soumettre ne sont pas les mêmes en raison des inégalités. Pour prendre toute la mesure de cette réalité, il faudrait changer le regard sur les habitants des quartiers populaires.
Ici face au virus, la solidarité et l’entraide se déploient de façon impressionnante. Le tissu associatif tente de combler les défaillances de l’État dans tous les domaines. Des décennies de mépris des gouvernement successifs à combler les inégalités structurelles que subit notre département qui se révèlent cruellement avec la crise sanitaire.
Depuis que je suis élue députée, je n’ai cessé d’interpeller l’État. Avec des élus de toutes sensibilités, nous avons pris appui sur le rapport dit Cornut-Gentille pour exiger des moyens. Ce rapport parlementaire a montré que, indépendamment de la situation sociale de ses habitants, l’État donne moins de moyens en Seine-Saint-Denis qu’aux autres départements. Alors que le 93 est riche de sa jeunesse, de sa créativité et de son dynamisme, nous avons des handicaps qui sont d’abord dus à des choix politiques.Cette explosion de la mortalité est un indicateur absolument effrayant d’un tableau d’inégalités sociales et territoriales que la société tout entière doit regarder et corriger. Je formule le vœu que nous ne sortions pas inchangés de cette crise, en continuant à creuser le trou des inégalités, que l’élan de solidarité et de partage finisse par l’emporter franchement, jusqu’au sommet de l’État. Dans ce domaine, vous verrez que la Seine-Saint-Denis peut devenir un aiguillon et un modèle.
Clémentine Autain