Vendredi, j’étais à la raffinerie Total de Grandpuits pour une rencontre avec des syndicalistes de la CGT. Ce qui s’y passe est un cas d’école. La lutte qui s’enclenche sera, j’en suis convaincue, aussi forte qu’emblématique de la lutte ramassée dans le slogan « fin du monde, fin du mois : même combat ». La discussion avec les salariés, qui m’ont impressionnée par leur clairvoyance et leur détermination, m’a permis de prendre toute la mesure de la folie pour les travailleurs, la planète et le bassin de vie de ce choix imposé par Total.
Alors que l’entreprise a reversé 7 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2020, ce sont 200 emplois sur le site de Grandpuits et 500 emplois induits que rêve de détruire Total au prétexte d’une opération de greenwashing. En réalité, c’est à une délocalisation de l’activité que se prépare le grand groupe : arrêter le raffinage ici pour développer à l’autre bout du monde une production d’énergie à bas coût social et à faibles normes environnementales. Dans quel but ? La réponse est simple : accroître les marges, et donc le rendement du capital. Repeindre d’un coup de vert une telle décision ne fait pas illusion. En effet, les biocarburants promis n’ont rien d’une solution miracle face au réchauffement climatique. Ils plongent des millions de personnes dans une insécurité alimentaire invisible car loin de nos frontières et présentent de nombreuses externalités négatives. Par ailleurs, il va bien falloir acheminer du pétrole raffiné autour de Grandpuits, par exemple dans les stations-services. Comme Grandpuits est la seule raffinerie d’Ile-de-France, l’enjeu est essentiel pour notre Région, surtout si l’on est convaincu de l’importance des circuits-courts. Si l’usine est fermée, le pétrole raffiné viendra donc d’ailleurs et supposera un acheminement par camions avec son triste bilan carbone. En l’occurrence, il s’agit de 360 par jour pour les stations-service ! Les ouvriers de Grandpuits étant particulièrement qualifiés, c’est aussi une potentielle perte en savoir-faire qui se joue, en plus du drame humain pour les personnels qui seraient licenciés dans un contexte de crise sociale aigüe. N’oublions pas non plus les répercussions sur la vitalité des villes alentours, notamment le bassin de Provins. J’ajoute enfin qu’avec cette énième fermeture de raffinerie, nous affaiblirions encore notre indépendance vis-à-vis d’États peu fréquentables, ce qui n’est pas sans conséquences géopolitiques.
Au projet de Total, le syndicaliste Adrien Cornet rétorque sans détour : « Si on avait le contrôle ouvrier, on investirait pour obtenir le temps d’avoir une alternative au fossile ». Les travaux de rénovation de la pipeline n’ont pas été effectués par Total alors qu’il y a des années que cet investissement aurait dû être engagé. Si l’on rapporte les 600.000 euros que cela coûterait aux profits faramineux du grand groupe, on se dit que ce n’est vraiment pas un effort insurmontable… Mais pour tuer son chien, il faut dire qu’il a la rage. Total a donc choisi de laisser se détériorer la raffinerie pour mieux argumenter en faveur de sa fermeture.
Que fait l’État ? Que fait la Région ? C’est le laisser-faire qui domine. Total affirme son pouvoir sans entraves légales, sans contrainte de la mainmise publique. Cette logique du privé qui impose ses normes et son pouvoir sur la vie humaine est insupportable. Les salariés ont décidé de tenir tête. Après la grève de décembre, c’est un nouveau bras de fer qui s’annonce en janvier. Notre soutien est déterminant. Pour faire entendre les enjeux. Pour alimenter la caisse de grève qui permet aux salariés de tenir. Pour mener le rapport de force. Et le gagner. Une chose est sûre : je prendrai toute ma part dans cette bataille.
Clémentine Autain