« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

À celles et ceux qui aiment lire, et lire encore…

Clémentine Autain

À celles et ceux qui aiment lire, et lire encore… et jouissent de l’été, souvent plus propice à tourner les pages…

Si vous n’avez pas encore fait votre pile, ou si comme moi vous la faites et la refaites à l’infini, je pose là quelques livres qui m’ont marquée cette année.

Commençons par les romans.

Mon amie Mathilde Larrère me l’a recommandé, et je l’ai dévoré : Les Contemplées. La jeune Pauline Hillier pose un regard féministe sur La Manouba, prison de femmes en Tunisie, où elle a séjourné. Avec finesse et douceur, elle décrit l’arbitraire des peines et la dureté des conditions d’enfermement. Elle nous parle des odeurs ou des silences, de ces corps malmenés, du manque d’intimité et de liberté. Elle nous raconte aussi la sororité. L’histoire de ces femmes enfermées au « Pavillon D » est pétrie d’injustice et de domination patriarcale. Un livre fort.

Pour celles et ceux qui me connaissent, vous ne serez pas étonnés que je vous invite à lire Quand tu écouteras cette chanson – oui, je suis définitivement fan de Lola Lafon. L’auteure a passé une nuit dans l’appartement où vécut Anne Franck avant sa déportation. Elle nous fait partager ses sensations. Elle nous invite à sortir notre regard des stéréotypes sur cette jeune fille devenue icône. Elle nous emmène sur des chemins de traverse féministes et fait vibrer la liberté contre tous les autoritarismes. L’un des plus jolis récits de Lola Lafon.

Le Mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli, nous embarque justement au cœur du régime autoritaire russe. Ayant lu de mauvaises critiques qui pointait notamment la dimension insuffisamment réaliste de son personnage principal, librement inspiré du conseiller de Poutine Vladislav Sourkov, j’avais hésité à le lire. Pas de regret de m’être laissée convaincre par plusieurs proches enthousiastes ! Cette fiction porte une réflexion sur le pouvoir. Ce qu’il fait aux hommes. Ce que l’on vient y chercher. Ce que l’on oublie en l’exerçant. Sa description romanesque recèle une dimension intemporelle, celle de l’adrénaline que procure le pouvoir ou encore celle des mécanismes de cour.

Pour les grands lecteurs, je ne résiste pas à partager mon gros coup de cœur (c’est le cas de la dire…) de l’hiver dernier : Le cœur ne cède pas de Grégoire Bouiller. Un roman que j’ai eu du mal à lâcher, en dépit de ses 876 pages (les trois derniers jours, je lisais 20 pages par 20 pages, pour faire durer le plaisir, c’est vous dire…). C’est l’histoire d’une enquête à partir d’un fait divers de 1985. Une femme d’un certain âge, ancienne mannequin, s’est laissée mourir de faim dans son petit appartement parisien. Les médias mettent en cause la solitude des grandes villes. Bouiller n’y croit pas et se lance dans la recherche des raisons de cette mort atroce. Toutes les hypothèses sont fouillées, donnant l’occasion d’un voyage historique, sociologique, psychologique… Et évidemment, l’auteur retombe sur sa propre histoire. Je n’ai pas de meilleurs mots que ceux de la critique des Inrocks : « époustouflant corps à cœur ».

Côté essais…

Oui, même sur la plage, si on a la chance d’y aller, on peut lire L’État droit dans le mur. Rebâtir l’action publique. L’économiste Anne-Laure Delatte a réussi la performance de rendre le moins aride possible la lecture du budget de l’État. Le résultat de son travail, qui inscrit les chiffres dans la longue durée pour mieux dégager les bouleversements à l’oeuvre, est super agréable à lire. Et l’on apprend, par le menu détail, comment les gouvernements néolibéraux français ont distribué l’argent public, aveuglément aux grandes entreprises au détriment de la justice et des citoyen.nes… Passionnant et très utile.

Comme beaucoup si j’en juge par le succès de librairie d’ores et déjà enregistré, j’ai été séduite par la plume et l’énergie de Camille Étienne. Pour un soulèvement écologique. Dépasser notre impuissance collective vaut le détour. C’est un appel à agir sur un enjeu vital. C’est aussi une façon de saisir comment chez les jeunes générations écolos, on se pose les questions. C’est enfin, derrière le constat de départ globalement connu et déprimant, un souffle d’optimisme. J’ai vraiment aimé.

Alors que nombre d’entre vous s’apprête à faire le plein de séries pendant les vacances, je recommande un tout petit essai, dans la chouette collection « Libelle » du Seuil (ok, c’est un peu de parti pris, j’ai publié dedans mes Faussaires de la République, mais j’ai lu tous les autres, et je trouve que c’est vraiment une belle brochette de coups de gueule) : Netflix, l’aliénation en série. À vrai dire, je ne sais pas si je suis d’accord avec tout ce que Romain Blondeau avance, qui est assez unilatéral, mais assurément ce texte est stimulant et plutôt décapant.

Enfin, pour celles et ceux passionnés de théorie politique, je termine par un livre que j’ai lu cette année mais qui date de 2018 : « Eux » et « nous », une alternative au populisme de gauche.Le philosophe marxiste, ou plutôt marxien, Jacques Bidet, dont j’apprécie beaucoup la pensée, aborde dans cet essai exigeant (plus difficile sur un transat au milieu des cris des enfants, des bruits de pelles ou de balles…) la structure moderne de classe. Il s’attarde en particulier, et c’est la thèse centrale du livre, à décrire une classe dominante constituée de deux pôles : les tenants du pouvoir-capital, qui défendent la propriété, d’une part et les compétents, qui organisent et structurent. Autrement dit, il y a bien deux classes, la classe dominante et la classe fondamentale, mais il y a trois forces sociales, puisque la classe dominante comporte deux pôles. En conséquence, la lutte sociale et politique est à comprendre sous la forme paradoxale d’un duel triangulaire. Cet essai de Jacques Bidet, vraiment stimulant, permet de penser les médiations indispensables pour gagner.

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