« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Climat : même des néolibéraux proposent de taxer les riches

Clémentine Autain

Qui l’eut cru ? L’économiste libéral Jean Pisani-Ferry, inspirateur du projet d’Emmanuel Macron en 2017, vient de rendre un rapport qui valide nos grands partis pris en matière de lutte contre le réchauffement climatique[1]. Si ses conclusions, rédigées avec l’inspectrice des finances Selma Mahfouz, ont été remises à Élisabeth Borne le 22 mai dernier, elles ont aussitôt été étrillées ou mises au placard à droite. Mais ce pavé dans la mare, qui a déjà fracturé le camp présidentiel, n’a pas encore produit tout son potentiel « disruptif »… Et nous aurions tort de ne pas nous en saisir. Ce rapport peut changer le climat du débat public.

Un économiste libéral qui valide nos présupposés

J’avoue que je n’étais pas prête. Jean Pisani-Ferry, que j’avais notamment rencontré dans mes différentes batailles pour les retraites, alors qu’il enchaînait rapport, tribunes et entretiens pour prôner l’allongement de l’âge de départ et la libéralisation de notre système, s’est mué en… promoteur de la taxation des riches, de la dette et du pilotage public ! Car ce qui est intéressant dans ce rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat », ce n’est pas le détail. Le cadre de la croissance dans lequel restent figés les auteurs est contestable. Le choix d’investir massivement dans la voiture électrique est discutable, notamment au regard de la course aux métaux. Et certaines données précises semblent par ailleurs erronées, comme l’a souligné Thomas Piketty sur la fiscalité. Mais il faut savourer tout ce que ce discours bouscule pour la pensée dominante. Dans ses grandes lignes, il apporte de l’eau au moulin de nos solutions sociales et écologistes.

Pour commencer, le rapport préconise une approche d’inventaire : il faut établir un état des lieux des besoins, et ensuite définir comment arriver à les satisfaire. Ce n’est donc pas une logique financière qui préside. Pisani et Mahfouz disent également explicitement que le pays est mal préparé pour atteindre ses propres objectifs. Mais qu’il est encore possible d’atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire de baisser de 55% nos émissions de GES par rapport à 1990 dans les prochaines années. Le propos liminaire est pour le moins rafraichissant ! 

Investir, taxer les riches, piloter 

Quand on entre dans le dur des conclusions, trois grandes idées justes et prometteuses sont avancées. D’abord, Pisani-Ferry et Mahfouz proposent de mettre à contribution les plus riches. Pour eux, comme pour nous, la fiscalité s’avère donc un levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique. Comme le rappelle Greenpeace, les 1% des plus hauts revenus émettent 66 fois plus de gaz à effet de serre que les 10% des ménages aux revenus les plus faibles. Il est donc juste que les plus hauts revenus contribuent davantage à l’effort nécessaire. D’ici sept ans, nous apprend le rapport, les plus pauvres devraient consacrer quatre ans et demi de leur revenu (voitures, chauffage, isolation) à l’effort de transition écologique, et les classes moyennes deux et demi. Ce n’est pas possible. Une loi peut obliger individuellement tout le monde à rénover son logement ou changer de voiture, la grande majorité n’en a pas les moyens et ne pourra tout simplement pas le faire. C’est pourquoi les plus favorisés doivent mettre davantage au pot commun. Par ailleurs, il faut rendre la transition socialement acceptable. L’effort doit être porté par toute la société, pas seulement peser sur les plus pauvres, comme cela l’a été pour la taxe carbone qui a engendré la révolte des gilets jaunes. D’où la proposition d’un ISF pour financer la transition. Cet impôt est présenté comme exceptionnel et temporaire mais l’idée est là. Elle est même appréhendée comme une manière de dire aux plus riches que leur mode de vie ne va pas. 

Ensuite, les auteurs nous disent qu’il faut investir massivement, et donc accroître la dette. Environ 34 milliards d’euros par an d’ici à 2030 sont nécessaires pour les transports, l’isolation thermique, l’industrie verte. S’il faut continuer l’innovation et agir pour changer nos comportements, nous avons un problème d’urgence, de temporalité. Les rapporteurs affirment donc clairement que nous n’avons pas le temps pour une solution venant des marchés. C’est la puissance publique qui doit prendre elle-même en charge l’essentiel du changement. 

Enfin, il faut un pilote dans l’avion : les politiques publiques. Pas question donc de laisser le marché faire, c’est bien l’État, avec les collectivités et les délégataires, qui doit avoir la main. Lors de la conférence de presse, un service public de l’automobile a même été évoqué ! 

Au total, c’est une petite révolution copernicienne…

La minorité présidentielle fracturée

Ce rapport est un travail sérieux, qui s’est appuyé sur les données des services de l’État. Il va donc être compliqué pour le gouvernement de le mettre en pièces en deux coups de cuillères à pots. Dès sa publication, Matignon l’a jugé d’une grande utilité. Un « ISF vert », ce « n’est pas un sujet tabou », a de son côté affirmé Christophe Béchu. Mais c’était sans compter les rappels à l’ordre… Deux jours plus tard, le ministre de la transition écologique a rétropédalé : il ne faut « en aucun cas ajouter une taxe écologique ». Il faut dire que le ministre de l’économie a, lui, fermé toutes les portes en excluant tout recours à la dette et à la contribution des plus riches. La ministre Agnès Pannier-Runacher a renchéri : « Nous sommes le pays qui taxons le plus fort, quasiment au monde, les plus hauts revenus », ce qui est faux. Mais au Modem, le son de cloche est différent : « il ne faut pas balayer d’un revers de la main ces propositions aussi rapidement », s’agace le président du groupe Jean-Paul Mattei, qui avait défendu la taxe sur les superdividendes. 

En attendant, il semble qu’Elisabeth Borne ait déjà perdu l’arbitrage en faveur de mesures conformes aux conclusions de ce rapport. À vrai dire, elle a peut-être même tout simplement perdu le poste de Première ministre, si l’on en croit l’attitude du Président à son égard et les rumeurs rapportées dans les médias. Les députés de la minorité présidentielle, notamment les plus sensibles à ces sujets, vont-ils encore subir l’arbitrage de l’Élysée ou vont-ils se battre en faveur des conclusions de ce rapport ? Sans naïveté, il est possible de s’interroger. Sauf si le débat est vite enterré publiquement. Mais il ne tient qu’à la Nupes de l’encourager et le nourrir…

Saisir l’opportunité

À l’occasion de la sortie de ce rapport, nous aurions tort de nous passer d’une telle opportunité d’enfoncer le clou. Car c’est un mensonge de dire que l’on peut agir sur le climat sans investir, sans partager, sans impulser. La macronie a menti sur les retraites. Elle nous ment à nouveau sur le climat. Leur dogmatisme est sans bornes. À nous d’y mettre des limites et de faire grandir nos propositions pour prendre à bras-le-corps l’urgence climatique. Comme le rappelle le rapport, il nous faut « faire en dix ans ce qu’on a peiné à faire en trente ». Nous ne pouvons plus ni tergiverser, ni avancer à petit pas. Il nous faut agir, fort et vite.

Clémentine Autain


[1] « Les incidences économiques de l’action pour le climat », rapport publié en mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz à lire ici

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