« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Dans la poussière : au fond du discours de Barnier

Clémentine Autain

Poussiéreux. C’est ainsi que j’ai perçu le discours de politique générale du Premier ministre. Oui, il sentait la naphtaline. Et s’il n’avait pas l’arrogance de ses prédécesseurs, il était bien soporifique. Vieux jeu et sans relief, Michel Barnier a slalomé pour donner à manger à la macronie dont il assure la continuité politique, et au RN à qui il doit sa nomination et son maintien. L’orientation poursuivie n’est que vieilles lunes. Le désastre, annoncé.

Vu du NFP, pas d’hésitation : ce gouvernement Barnier mérite la motion de censure. D’abord parce qu’il est illégitime au regard des résultats des urnes – la coalition NFP étant arrivée en tête, c’est Lucie Castets qui devrait gouverner ! Ensuite parce que les annonces de Barnier ne vont ni apaiser le pays, ni améliorer le quotidien des Français.es.

D’abord, il y a aussi tout ce que Barnier n’a pas dit.

Rien sur les retraites.

Rien sur les salaires – seulement une hausse du SMIC de 2% dès novembre, au lieu de janvier légalement, si peu que c’est indécent.

Rien sur les prix qui ont tant flambé.

Comment mieux signifier le décalage entre les attentes populaires et le discours de ce premier ministre ?

Ensuite, ne balayons pas d’un revers de la main les quelques bonnes nouvelles de ce discours. Engrangeons-les car elles correspondent aux mobilisations de la société qui empêchent certains reculs et contraignent le gouvernement.

Le Premier ministre renonce au projet de loi sur le corps électoral qui a enflammé la Kanaky. Un soulagement, même si nous attendons la libération des prisonniers politiques, la fin de la brutalité comme réponse politique et des investissements sociaux.

Barnier a également affirmé son attachement personnel à l’État de droit. Fort bien. Attendons de voir la traduction dans les faits mais ce recadrage des propos ineptes de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, était attendu. Le Premier ministre s’est aussi engagé à ne pas toucher à la loi sur le mariage pour tous, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et à la loi dite Veil sur l’IVG. Si c’est un minimum quand il faudrait agir pour l’égalité et non seulement se satisfaire de l’existant, c’est toujours ça de pris, surtout au regard des prises de position passées de Barnier et de bien des ministres. Enfin, la proportionnelle est mise à l’étude. Cela n’engage à rien mais c’est mieux que rien, comme la reprise du dialogue sur la fin de vie.

Pour le reste, c’est effrayant.

« La dette, la dette, la dette » : c’est avec cette obsession que s’est ouvert le discours du Premier ministre. « Faire beaucoup avec presque rien » : voilà le défi. Toutes les belles phrases qui s’en sont suivies, sur les services publics ou pour prioriser la santé mentale, résonnent dans le vide. Concrètement, une annonce symbolise l’ensemble du sinistre résultat : l’appel à des « retraités volontaires » pour améliorer le service dans l’éducation nationale !

Car le premier remède à la dette selon Barnier, ce n’est pas l’augmentation des recettes par le partage des richesses mais la sacro-sainte réduction de la dépense publique. Après avoir fait la leçon aux Mozart de la finance qui l’ont précédé et qui ont laissé un trou béant dans les comptes publics pour servir les grands groupes et hyper-riches, Barnier a donné le cap : remettre le pays sur de « bons rails » en visant 5% de déficit pour 2025 et 3% pour 2029, pour répondre aux injonctions de Bruxelles.

Nous comprenons que les efforts « exceptionnels » qui seront demandés aux grandes entreprises qui ont fait des profits et aux plus fortunés n’alimenteront le budget qu’à la marge. Rien de structurel. Rien de structurant. Ce geste était attendu tant l’indécence est à son comble et choque massivement. Mais ce ne sont que des mesurettes quand il faudrait, par des mesures fiscales sur les hyper-riches, réduire drastiquement les inégalités, et mettre massivement à contribution les profits des grandes entreprises, et ainsi renflouer les caisses publiques pour développer les services publics et les protections sociales.

L’insistance de Barnier à citer les collectivités locales, sur lesquelles il compte s’appuyer, a de quoi inquiéter. Surtout au moment où la Cour des comptes préconise une suppression de 100.000 postes en leur sein ! Car on continue d’aller dans le mur en demandant toujours plus aux villes et départements « en même temps » qu’on leur coupe toujours davantage les vivres.

Sur l’écologie, c’est la contradiction qui frappe. D’un côté, les jolis mots sur la dette écologique. De l’autre, les mesures concrètes comme la remise en cause du « zéro artificialisation nette » des sols. D’un côté, l’éloge des énergies renouvelables. De l’autre, l’annonce d’un nouveau sursis pour isoler les logements et le paquet sur le nucléaire. Nous connaissons par avance le résultat final. Il est sinistre, et s’appelle inaction climatique.

Sur la sécurité et l’immigration, nous avons pu mesurer l’ampleur de l’alliance du gouvernement Barnier avec le Rassemblement national. Car c’est parti pour une carte vitale sécurisée – biométrique ? – qui va coûter cher pour accroître la surveillance généralisée, le construction de nouvelles places de prison quand il faudrait développer les alternatives à la prison, la comparution immédiate dès 16 ans… Autant de mesures qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de la délinquance et qui ne contribueront pas à la réduire. Il faut y ajouter la très grande fermeture annoncée à l’égard des migrants. Une vision et des mesures qui ne répondront pas à la crise de l’accueil mais nourriront l’injustice et la violence.

On l’aura compris, ce gouvernement va accélérer les recettes servies depuis sept ans par la macronie et amplifier la dérive extrême-droitière. Il le fera en toute illégitimité démocratique et sous assistance respiratoire du RN.

Agir en faveur de la mobilisation populaire et se préparer à prendre le pouvoir, voilà l’urgence du moment.

Clémentine Autain

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