« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

« En même temps » : et de droite et d’extrême droite

Clémentine Autain

Deux mois pour en arriver là, c’est aussi affligeant qu’explosif. La nomination de Michel Barnier est un coup de tonnerre dans un ciel démocratique déjà très assombri. Le mépris pour les Français.es, à qui Emmanuel Macron prétendait demander leur avis le 7 juillet, est total. D’ailleurs, trois français sur quatre estiment que Macron n’a pas tenu compte des résultats des législatives (1).

Peu de commentateurs le relève mais il est incroyable que ce soit les perdants d’une élection qui décident de qui gouverne. Le Président profite donc du pire de la Ve République pour affirmer son désir de toute-puissance et son refus de changer en quoique soit sa politique.

En nommant un premier ministre RN compatible, Macron nous a livré une nouvelle version du « en même temps » : et de droite, et d’extrême droite. Quiconque n’a pas la mémoire d’un poisson rouge mesure ici le degré de folie : Macron a été élu deux fois pour faire barrage à Le Pen ! Nous avons vu la pente glissante dans laquelle la macronie s’est engouffrée à coups de loi asile/immigration ou de contribution active à la banalisation de l’extrême droite, notamment à l’Assemblée. Et maintenant, le RN se trouve en quelque sorte dans un soutien sans participation à ce gouvernement imposé par Macron.

Le déni

S’il y a bien un enseignement électoral de ces législatives, c’est la mobilisation contre l’extrême droite. Le barrage face au parti de Marine Le Pen a fonctionné massivement. Bien des électeurs/trices se sont bouchés le nez – et parfois très très fort ! – mais ils l’ont fait, déjouant les pronostics d’une victoire du RN. Choisir un premier ministre venu de LR, parti qui a refusé de donner des consignes de vote pour empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir, c’est s’asseoir sur le message principal envoyé par les Français.es. L’option retenue enfonce le clou du déni puisque Michel Barnier porte des positions sur l’immigration, les chômeurs ou la sécurité totalement en phase avec le RN. Député en 1981 (déjà !), il a refusé de voter en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité : de quoi séduire à droite toute…

Que Barnier vienne d’un parti n’ayant obtenu que 7% le 7 juillet dernier et ne comptant même pas 50 député.es, n’est visiblement pas un problème pour Macron. La démocratie lui est étrangère. Ce qu’il veut, ce n’est pas la stabilité du pays mais de ses choix politiques. Avec Barnier, la contre-réforme des retraites ou les mesures fiscales qui régalent les hyper-riches et les grands groupes seront préservées. Là est l’essentiel. Là est la raison pour laquelle Macron ne veut pas du NFP : qu’importe le résultat des urnes, l’idée que puisse être défait ce qui profite à son petit monde de privilégiés lui est insupportable. 

La compatibilité RN

En refusant de nommer Lucie Castets, pourtant candidate au nom de la coalition arrivée en tête, le Président s’est mis dans la main du RN. Chercher celui qui ne recevrait pas de motion de censure a priori de la part de l’extrême droite, c’est opter pour un profil RN compatible. Marion Maréchal Le Pen a eu beau jeu de tweeter immédiatement en direction du nouveau Premier ministre : « c’est le moment de tenir vos promesses ! », en rappelant les propositions du candidat Barnier dans la primaire de LR – moratoire sur l’immigration, limitation drastique du regroupement familial, fin de l’AME, expulsions facilitées…

Que personne ne se laisse abuser par le côté Dr Jekyll et Mister Hyde de Barnier, tantôt présenté comme un gentil chiraquien, brillant négociateur, humble et respectueux du dialogue social, et tantôt dépeint à partir des actes et propos qui jalonnent son parcours, c’est-à-dire la réalité de son fond politique qui le rapproche du RN. Et ce d’autant que, sur le plan économique, la proximité est réelle avec le programme de Le Pen qui ne veut pas partager les richesses, accepte la règle d’or et entend rassurer les marchés.

Macron a décidé à la place des députés, en méprisant comme il l’a toujours fait le pouvoir du Parlement. Il aurait dû laisser le parlementarisme faire son œuvre et nous aurions vu si Lucie Castets pouvait ou non créer les coalitions de projet lui permettant de maintenir son gouvernement. Mais les premiers décrets qu’elle aurait pu prendre, pour empêcher l’application de la réforme des retraites ou augmenter les salaires, c’était déjà trop pour Macron. Il fallait nous couper l’herbe sous le pied immédiatement. Ne surtout pas laisser le NFP prendre quelques mesures populaires, à rebours de ses sept ans de destruction sociale, d’inaction climatique, de brutalité démocratique.

Le scenario de gauche

L’hypothèse de la nomination de Bernard Cazeneuve ou de tout autre profil issu de la gauche n’avait qu’un objectif : briser le NFP, et en son sein le PS en particulier. Car s’il s’agissait de laisser la gauche gouverner, dans le cadre d’une cohabitation, alors Lucie Castets aurait été nommée. S’il s’agissait de tenir à distance la seule LFI, alors Macron aurait saisi la proposition de Jean-Luc Mélenchon d’un soutien sans participation. Ne soyons pas naïfs. Un premier ministre venu des rangs de la gauche n’aurait pas eu vocation à gouverner sur des bases de gauche mais à fracturer la coalition NFP et à poursuivre une politique de type macroniste. Surtout que tous les noms qui ont circulé faisaient partie des sensibilités les plus hostiles au NFP et les plus proches des macronistes. La dénonciation excessive et de mauvaise foi de mon discours à Blois, orchestrée avec beaucoup d’énergie sur les réseaux sociaux par la partie modérée du PS et hostile au NFP, est révélatrice. Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre, je n’ai insulté personne, ni fait huer qui que soit. J’ai pointé cette opération possible de Macron et appelé à ne pas tomber dans ce piège de notre éclatement et de l’impuissance à gouverner à gauche. Les nombreux militants présents ont effet manifesté bruyamment leur réprobation d’un tel scenario et exprimé leur attachement au NFP. Quand Karim Bouamrane, dont j’ai cité le nom puisqu’il faisait partie des hypothèses, a fait un signe pour dire « non », laissant ainsi entendre qu’il ne serait pas de cette aventure, je l’ai relevé à la tribune et les militants l’ont applaudi. À quoi bon diffuser ce passage, isolé du reste du discours et des réactions, pour me repeindre en affreuse sectaire-outrancière-insultante, si ce n’est pour affaiblir Olivier Faure en interne et pour étayer la thèse d’une impossibilité de s’allier avec le flanc gauche du NFP ?

Je le redis : l’union des gauches et des écologistes est une perspective stratégique – et non seulement tactique, c’est-à-dire bonne pour sauver les sièges la veille d’une élection. Elle est non suffisante mais indispensable pour nous sortir du marasme et changer la vie des gens. Tout ce qui fracture le NFP nous éloigne d’une gauche qui gouverne – véritable définition de « la gauche de gouvernement » qui ne saurait être synonyme de celle qui a déjà gouverné ou de celle (la même en général) qui colle à l’idéologie dominante en se croyant ainsi perçue comme la plus apte à gouverner.

Ce n’est pas un hasard si les mêmes ou d’autres font aujourd’hui le procès de la gauche comme si elle pouvait être tenue pour responsable de la nomination de Barnier. Le responsable, c’est Macron qui rejette le NFP arrivé en tête et cède aux diktats de Le Pen. Nous, nous voulons garder notre cohérence et notre cohésion. Accepter un premier ministre issu de la gauche dans un gouvernement avec des macronistes, sans rupture avec les politiques menées par Macron, ne peut conduire qu’à fragiliser l’union des gauches et des écologistes, à accroître la désespérance dans le pays, à éloigner du pouvoir les nécessaires transformations sociales, écologistes, démocratiques.

Le NFP, vraiment

C’est pourquoi l’urgence est à consolider le NFP, de la base au sommet. Cela signifie le structurer pour travailler et se mettre en mouvement ensemble. Aller à la rencontre des Français.es, par exemple pour une grande tournée des besoins. Associer les forces issues de la société civique qui se sont engagées à nos côtés. Mettre en place partout des assemblées locales du NFP. Approfondir notre programme. Assurer une coordination à l’Assemblée nationale entre nos différents groupes. Préparer d’éventuelles nouvelles élections législatives anticipées. Et définir une méthode de désignation de notre candidat.e pour la présidentielle, d’autant que celle-ci pourrait arriver plus tôt que prévu. Le NFP est fragile, la tentation d’en revenir aux deux gauches ne cessent d’être menaçante. Si l’on ne consolide pas maintenant le NFP, on prend le risque d’une dislocation. Le peuple de gauche ne nous le pardonnerait pas.

Notre candidate Lucie Castets au poste de première ministre, qui est la preuve vivante que notre union est possible, s’est mise en disponibilité pour contribuer à ce travail. C’est une chance. Saisissons-la sans tarder en lui donnant, en nous donnant les moyens de faire mieux. Sans oublier que, la situation étant totalement instable, elle pourrait être nommée dans quelques semaines ou mois, qui sait ?

D’ici là, la colère va gronder. Dès demain, avec des manifestations dans toute la France. Soyons au rendez-vous.

Les temps qui viennent sont incertains mais j’ai la certitude que notre temps approche.

Clémentine Autain

1) Elabe pour BFM, 6 septembre.

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