« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Gloria Mundi

Clémentine Autain

Alors que je regarde Ariane Ascaride dans C Politique, si juste comme toujours, je vous invite vraiment à aller au cinéma voir Gloria Mundi. Le dernier film de Robert Guédiguian saisit le réel contemporain du point de vue des perdants. Il dévoile les logiques à l’œuvre dans le monde populaire, les façons de vivre ou plutôt de survivre face aux pièges du néolibéralisme. C’est une version sombre, pessimiste du réel que nous livre le réalisateur engagé, comme pour mieux nous transmettre la colère. S’y déploie le drame de la reproduction, à la fois sociale et personnelle.
Sylvie, tout juste grand-mère d’une petite Gloria, fait le ménage la nuit dans les cabines de paquebots. Elle a élevé ses deux filles avec Richard, chauffeur de bus, qui n’est le pourtant pas le père de la première. Gloria connaitra-t-elle son grand-père biologique ? Il vient justement de sortir de prison. Le nouveau-né est l’occasion de retrouvailles aussi difficiles que touchantes mais les tensions s’accumulent vite. Les parents de Gloria rêvent d’indépendance et cherchent à trouver leur place dans un monde du travail saturé et précarisé. Mathilde enchaine les CDD comme vendeuse, Nicolas est chauffeur chez Uber. Les galères surviennent vite, rien ne semble payer, joindre les deux bouts est mission impossible. L’autre fille de Sylvie, Aurore, s’en sort apparemment mieux avec son compagnon Bruno : pour être du côté des gagnants, ils sont prêts à mépriser et arnaquer les autres. La relation entre les deux couples va prendre une tournure inattendue. Et, finalement, c’est la descente aux enfers pour tous.
Ce film touche par son histoire et par son interprétation remarquable. Aux côtés de Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, qui a obtenu le prix d’interprétation à la Mostra de Venise, joue avec une justesse magnifique cette femme qui refuse de faire la grève et qui est prête à tout pour sauver sa famille. Après « Sorry we missed you » de Ken Loach, l’alerte apparaît éminemment politique. Dans cette société déshumanisée, où la concurrence et la réussite individuelle sont sacrées, où la précarité et la débrouille sont le lot commun des dominés, il n’y a pas d’issue. Dans le climat de révoltes sociales qui est le nôtre, ce film noir donne la rage de se battre pour un autre horizon, émancipateur.

Clémentine Autain

Menu