« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Jeudi 19, première marche pour gagner

Clémentine Autain

Unis pour la première fois depuis 12 ans, les syndicats ont donné le premier rendez-vous pour combattre le projet d’Emmanuel Macron et du gouvernement de nous faire travailler plus longtemps. Le jeudi 19 janvier, l’intersyndicale appelle à la grève et à manifester partout en France. Il faut se ruer sur cette date ! La force du nombre est la clé pour empêcher le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Je sais combien, en période d’inflation et de salaires en berne, il est particulièrement difficile, douloureux, coûteux de perdre un jour de salaire. Mais l’enjeu est tel que cette grève en vaut une fichue chandelle : deux années de retraite !!!

Voler les plus belles années de retraite, ce temps libéré que nous avons conquis, est cruel. C’est le moment où la santé est la moins abimée. Où l’on peut faire tout ce que l’on n’avait pas eu le loisir de faire avant, profiter de ses petits-enfants, s’investir dans une association, paresser en regardant les oiseaux, pêcher, se lancer dans la poterie, dessiner, chanter, buller…. Le progrès social, ce sont les corps et les têtes qui se reposent toujours plus tôt.  Obliger à vendre sa force de travail deux années supplémentaires est un recul d’une grande brutalité. Surtout, celles et ceux qui n’y arriveront pas, car ce sera trop dur, trop violent, partiront avant l’âge légal avec des pensions encore rabougries. C’est ainsi que le recul de l’âge va se traduire par un appauvrissement des retraités les plus modestes.

Une chose est sûre : ce choix du gouvernement creuserait les inégalités. Car, nous le savons, ce sont les moins diplômés, ceux et celles qui ont commencé à travailler très tôt, les ouvriers et les employés, qui en paieraient le prix fort. Les cadres, ceux et celles qui ont fait de longues études, partent déjà de facto à plus de 64 ans, notamment en raison du nombre d’annuités requis pour prendre sa retraite à taux plein. Avec le projet porté par Élisabeth Borne, les corps les plus éreintés et maltraités par le travail se trouveraient contraints d’être encore plus éreintés et maltraités. C’est d’une injustice crasse, insupportable. Depuis plusieurs jours résonnent dans ma tête ces mots de l’écrivain Édouard Louis au sujet de son père, dont le dos a été broyé par un accident à l’usine : « L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique ». 

Rien n’oblige à imposer de travailler plus longtemps. Les arguments financiers sont des fadaises. Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) écrit noir sur blanc que la trajectoire du financement de notre système de retraite est « maîtrisé ». Des solutions pour combler le maigre déficit en vue de notre système dans les années qui viennent, il en existe des caisses et des wagons. À condition de cesser de subventionner les hyper-riches et les grands groupes économiques. La première ministre se targue de dégager avec ce report 17 milliards. Le chiffre est farfelu – je ne détaille pas mais les projections ne sont pas rigoureuses, elles servent un choix politique – mais admettons, il n’y a là rien qui justifie deux ans de travail supplémentaires. Quand on pense qu’en réinstaurant la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée) et l’ISF, on peut immédiatement dégager 11 milliards. Quand on pense que les entreprises du CAC 40 ont redistribué 80 milliards à leurs actionnaires en 2022, une simple taxe sur ces surprofits permettrait de voir venir. Quand on pense qu’il suffirait d’imposer à 50% les 500 plus grosses fortunes de France qui se sont enrichies de façon exceptionnelles ces dernières années, pour trouver 400 milliards. 

En réalité, le gouvernement veut faire payer aux plus modestes, de leur temps, de leur corps, le soutien de l’État aux privilégiés. Et ce sont les ouvriers, aux métiers les plus pénibles et aux salaires les plus bas, et les femmes, aux carrières plus souvent incomplètes et aux revenus plus faibles, qui en seront les premières victimes.

Macron et Borne n’ont pas de légitimité pour nous imposer un tel recul. 85% des Français sont opposés à un report de l’âge légal de départ à la retraite. Soit une écrasante majorité. Les syndicats sont unanimes à rejeter ce projet. Alors, sans majorité dans le pays, Emmanuel Macron et le gouvernement cherchent une issue parlementaire. Les petits arrangements entre amis de droite portent leurs fruits. Les LR avec Éric Ciotti s’apprêtent à faire l’appoint. Le tout serait emballé avec la plus grande rapidité, par le biais de l’utilisation d’une réglementation liée au budget de la sécurité sociale dit PLFSS : l’article 47-1 de la Constitution. En clair, le temps de débat au Parlement sera réduit à 50 jours, allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat compris, après quoi le gouvernement pourra légiférer par ordonnance. Une forme de 49.3 déguisé en somme. 

Alors, avanti popolo ! D’autant que, côté politique, nous sommes donc prêts. La Nupes est rassemblée pour combattre ce projet. Une tournée de meetings est lancée. La bataille se prépare à l’Assemblée et au Sénat. Dès le jeudi 19 janvier, le gouvernement doit sentir une vague de détermination. Nous sommes majoritaires, nous devons gagner. Nous le pouvons. Si nous nous mobilisons. 

Clémentine Autain

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