« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

La folle stratégie de la tension face au peuple debout

Clémentine Autain

De fiasco en fiasco… L’intervention d’Emmanuel Macron au 13h n’aura apporté qu’une nouvelle pelletée de charbon à l’embrasement populaire. Alors que la crise de régime s’approfondit, le Président rejette toutes les issues : remaniement, dissolution, référendum, retrait. Une sidérante fin de non-recevoir à la colère des Français. Macron assume d’avancer « à marche forcée » (sic). Après le recours au 49.3 et une motion de censure rejetée à seulement 9 voix, le pouvoir en place ne tient plus qu’à un fil. Le peuple est vent debout, les syndicats sont soudés et déterminés comme jamais et l’Assemblée nationale n’offre aucune majorité au pouvoir en place. L’impasse pour la macronie est totale. Macron choisit la fuite en avant avec la stratégie de la tension. 

Le cercle de la déraison

Depuis toujours, la macronie confond politique et communication. Quand les Français rejettent l’une de leurs propositions, c’est qu’ils n’ont pas compris : d’où le mantra de la « pédagogie ». Un mépris sans limite. La France peut déborder du refus de travailler deux ans de plus, Emmanuel Macron continuera de vous expliquer qu’il est dans le juste. On reconnait bien là les néolibéraux, ce « cercle de la raison » pour qui « The Is No Alternative ». Quand le Président répète le mot « réalité » dans son interview au JT, c’est pour défendre une vision comptable et technocratique de la politique : plutôt assumer l’affrontement avec le peuple que de revenir sur le choix de servir les hyper-riches et de conforter la finance. Il faut aussi saisir le profil psychologique d’un Président arrogant, sans empathie et prêt à prendre de front la majorité du pays. 

Autre marque de fabrique de la macronie : la dimension orwellienne de ses discours. Mardi aux questions d’actualité à l’Assemblée nationale, Elisabeth Borne ou le ministre Dussopt répétaient en boucle qu’un compromis avait été trouvé, que leur procédé était démocratique, qu’ils avaient toute légitimité… Ils vivent dans un monde parallèle. Enfermés dans leur bulle et leurs dogmes, ils restent imperméables aux évènements. La réalité a tort, pas eux !

Aujourd’hui comme hier, le Président porte le costume du dirigeant d’entreprise, pas de l’homme d’État. Comme le disait la philosophe Myriam Revault d’Allonnes sur France Info, « il y a chez Emmanuel Macron quelque chose qui est totalement étranger à la chose politique et à la chose publique ». Oui, ce qui frappe, c’est le vide politique.

Les soulèvements spontanés depuis le 49.3 montrent à quel point les Français sont lucides sur ce moulin gouvernemental. Plus le Président affiche son mépris en évoquant les « meutes », la « foule », les « factieux », plus la mobilisation semble prête à dépasser les records de participation, comme nous le verrons sans doute ce jeudi à l’appel des syndicats. 

Violence d’État, ficelle néolibérale

La répression apparaît comme l’ultime levier d’un pouvoir aux abois. D’abord, le néolibéralisme a toujours fait bon ménage avec le contrôle social. C’est même l’une des conditions de son application : plus les recettes régressives pour le peuple se déploient, plus il faut surveiller et punir. Ensuite, la ficelle tactique est assez limpide : tenter de décourager par l’intimidation la participation aux manifestations, notamment de la jeunesse, et essayer de diviser le peuple rassemblé contre lui, en suscitant une montée en pression propice aux débordements de violence. Ainsi le pouvoir espère-t-il apparaître comme « le parti de l’ordre » qu’attendraient des Français apeurés par les poubelles en feu qui tournent en boucle sur BFM.-TV. Comme si les pyromanes qui nous gouvernent pouvaient être pris pour les pompiers. Comme si la condition d’une situation apaisée dans le pays n’était pas la justice et la démocratie. 

Rassemblements interdits, nasse, chasse à la matraque pour disperser… Le mépris démocratique se poursuit dans la rue : le droit constitutionnel de manifester, bien que rappeler formellement par le Président – signe que les mots n’ont décidément plus aucun sens en macronie -, est concrètement bafoué.  Les vidéos qui circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux donnant à voir des violences policières ressemblant à celles qu’ont connu ces derniers temps les mouvements sociaux et les gilets jaunes. Après un tir de flashball, un policier s’écrie : « ramasse tes couilles enculé ». Un bébé sur les épaules ne peut sortir de la nasse d’une manifestation spontanée. À Nantes, de jeunes femmes décrivent des violences sexuelles lors de palpations où les mains de « forces de l’ordre » sont à l’intérieur des sous-vêtements. À Paris, un policier se jette sur un manifestant seul sur un trottoir pour lui mettre un coup au visage puis repart immédiatement. Les techniques de maintien de l’ordre sont ouvertement piétinées, avec la bienveillance encourageante du ministre de l’Intérieur qui, interrogé par mon collègue Andy Kerbrat sur les témoignages des Nantaises, n’a strictement rien à répondre en dehors de félicitations pour la police – en même temps, sur ce sujet, qu’attendre de Monsieur Darmanin ? La stratégie de la tension est assumée, à tel point qu’un commandant de compagnie de CRS confie à Mediapart : « On est à la veille d’une insurrection. J’ai peur qu’un de mes gars tue un manifestant ». 

La force du nombre l’emportera !

Quel est ce pays qui bafoue des droits élémentaires et piétine la démocratie ? Ce ne peut pas être la France. La macronie massacre ce qui fonde notre République. Elle se drape derrière les mécanismes permis par la Constitution. En usant et abusant du pire de la Ve République, elle confond légalité et démocratie. Or aujourd’hui, il faut une nouvelle Constitution pour refonder notre République, pour que le peuple cesse d’être chaque jour davantage mis à distance des institutions. 

La crise est sociale et démocratique. Le bras de fer doit se jouer sur ce double terrain. Le dénouement se trouve sur ces deux terrains, en réalité intimement liés. Pour gagner, et nous le pouvons, nous le devons, la mobilisation doit se propager, la grève s’ancrer, le blocage s’amplifier. Jeudi 23, nous déferlerons par millions à l’appel des syndicats ! À nous d’imposer une censure sociale. Face au nombre, le gouvernement finira par céder car aucun pouvoir ne peut tenir si le peuple tient bon. 

Clémentine Autain

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