« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

L’autorité n’est ni la censure, ni la mise au pas

Clémentine Autain

La macronie, qui plonge dans les sondages, s’affole. C’est alors qu’elle court tel un canard sans tête en direction du RN. C’est toujours plus à droite qu’elle cherche son sésame, taillant les dernières croupières à LR, celles qui résistent au clan Le Pen. Le résultat est un désastre pour notre pays. Car le « à droite toute » atteint le socle des principes fondateurs de notre République en muselant les opposants politiques. Et prépare le terrain au Rassemblement national.

L’arbitraire contre la démocratie

La répression et la censure viennent d’atteindre des sommets que je n’aurais, jeune, jamais imaginé rencontrer en France. En 24 heures, nous aurons donc assisté à la double interdiction de la conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan sur la Palestine à Lille, à la sentence d’un an de prison pour avoir rédigé une phrase qui ne va pas dans un tract et à l’interdiction d’une marche contre les racismes organisée ce week-end à Paris. Personne ne découvre la montée en régime de ce climat de criminalisation des mobilisations sociales et de chasse aux esprits critiques. Mais en pleine période électorale où le respect de la diversité des engagements politiques devrait être particulièrement chéri, le signal envoyé est terrifiant. « Pensez comme nous ou taisez-vous ! », dit en substance le pouvoir en place. Défendre le sort des Palestiniens affamés, enfermés dans la bande de Gaza et tués par dizaines de milliers, serait-ce un crime de lèse-majesté ?

En démocratie, on peut débattre d’un logo mais certainement pas en prendre prétexte pour faire taire des opposants politiques. En démocratie, on peut s’inquiéter des troubles à l’ordre public et adopter exceptionnellement des mesures restrictives pour prévenir des débordements dangereux mais certainement pas l’invoquer a priori, de façon récurrente et ciblée pour empêcher un camp politique de s’exprimer – et pas d’autres. Est-ce qu’une seule conférence, un seul meeting ont conduit à des heurts, des agressions, des débordements ? Non. L’arbitraire de toutes ces décisions est frappant, et terriblement inquiétant. Comme l’écrivait la philosophe Simone Weil, « la liberté d’expression est un besoin absolu pour l’intelligence ».

Si la démocratie s’organise en fonction de pressions idéologiques, alors nous pouvons lui dire adieu. Mais que tout le monde en ait bien conscience : ce à quoi nous ne renoncerons jamais, c’est à la défense d’un peuple massacré et à la critique farouche de ceux qui gouvernent. Interdire, réprimer, censurer n’éteint pas les convictions politiques. En revanche, cela laisse des traces, de la colère et du ressentiment. Cela abime nos principes républicains, ceux qui permettent de faire peuple et de faire vivre une démocratie. Cela banalise l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir car son autoritarisme viscéral et sa pensée réactionnaire apparaissent de plus en plus comme du « déjà là ».

Punir au lieu d’élever

Au même moment, le premier ministre parlait dans le poste. Et quel était le maitre mot de Gabriel Attal sur BFM-TV ? « Autorité ». Non content de mettre au pas l’opposition, le voici engagé dans une croisade contre la jeunesse. Dans la veine de sa pitoyable déclaration de politique générale : « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter ». Et d’égrener les mesures sur lesquelles les ministres devront plancher. Les élèves perturbateurs pourraient se voir retirer des points au bac et au brevet, histoire de bien compliquer leur orientation dans Parcoursup. Une sorte de casier judiciaire pour collégiens et lycéens. Les élèves pourraient aussi se lever quand un prof entre en salle de classe – retour aux anciennes traditions – et mettre un uniforme – sur ce dernier point, il n’a pas insisté car c’est un fiasco dans les expérimentations de terrain. Le premier ministre propose également d’élargir les travaux d’intérêt général aux mineurs de moins de quinze ans. Et j’en passe. Comme le résume le syndicat de la magistrature, « Attal se dit prêt à ouvrir le débat sur « l’abolition de l’enfance ». Ou comme l’écrit l’Unicef, « ces nouvelles mesures risquent de porter atteinte aux principes fondamentaux qui favorisent la primauté de l’aspect éducatif sur le répressif et encouragent le relèvement de l’enfant ». Sans compter que de telles mesures s’abattront prioritairement sur les jeunes des quartiers populaires qui ont avant tout besoin aujourd’hui de justice et de soutien. Au lieu d’avoir peur de la jeunesse, on ferait bien de l’écouter, de cesser de la stigmatiser, de lui donner les moyens de s’investir et de s’épanouir.

Le problème de fond, c’est l’erreur fondamentale sur le sens de l’autorité. Le mot vient du latin « augere » qui signifie augmenter. La juste autorité, c’est celle qui fait grandir, qui tire vers le haut. L’autorité n’est pas l’ordre imposé mais le respect généré par la personne, l’institution, le pouvoir qui contribue à nous élever. Ce qui est aujourd’hui malade, c’est la capacité de l’État à améliorer nos possibilités d’être des individus libres et meilleurs. Pour gagner en autorité, il faut donc relancer la dynamique d’égalité et de liberté, et non sortir l’attirail disciplinaire.

Clémentine Autain

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