« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Le cri du pays qu’ils enchaînent

Clémentine Autain

Répression aveugle des manifestants sur les retraites, scènes de guerre à Sainte-Soline, mensonge et déni de réalité au sommet de l’État… Le prétendu cercle de la raison n’est que déraison. La rage s’empare chaque jour un peu plus des Français à mesure que le pouvoir, tout à sa stratégie du chaos, s’enferme dans son monde parallèle et sa brutalité. La sortie de crise ressemble à un mirage tant le président Macron et le gouvernement tendent chaque jour un peu plus la situation. La voie de « l’apaisement », prônée dans leurs discours, n’est pourtant pas compliquée à tracer. Elle passe par le retrait du projet de loi retraites et le changement de doctrine du « maintien de l’ordre ». Mais les dirigeants du pays ont perdu toute connexion à la réalité, et toute humanité devant le cri sourd du pays qu’ils enchainent.

« Des Bastilles à prendre »

Le pouvoir en place cherche à mater la contestation, intimider les opposants, infliger une défaite à la majorité des Français pour mieux asseoir son ordre anti-républicain. Il a peur, il se raidit, il brutalise. D’où le niveau impressionnant d’affrontement à l’œuvre. Car la stratégie du pourrissement, de l’intimidation, de la tension trouve face à elle une France renouant avec une histoire que la macronie méprise. Celle de l’irruption de ceux qui ne sont rien. Celle de la foule qui se fait peuple. Celle du nombre qui prend conscience de sa force.

« Il y a encore des Bastilles à prendre » affichait un drapeau place de la Nation le 28 février dernier. Aux résonnances de 1968, avec ses grèves populaires et sa jeunesse en colère, se mêlent celles de la Révolution française. C’est le pouvoir du « monarque » qui se trouve aujourd’hui contesté. Un Président qui décide seul contre tous, esseulé dans sa tour d’Ivoire, incapable d’empathie envers la souffrance des catégories populaires, étranger à l’esprit de justice : les Français n’en peuvent plus, n’en veulent plus. À travers Macron et les méthodes du gouvernement, le régime est mis en cause. Celui qui donne la possibilité de s’asseoir sur la démocratie sociale, de contourner le vote du Parlement, de réprimer les manifestants.Comme l’écrit si justement l’historien Johann Chapoutot dans sa chronique de Libération (1), « l’archaïsme de nos institutions se révèle dangereux : notre Constitution a été taillée pour un général et pour des temps de guerre, dans les années 50. Elle se révèle un instrument possible de guerre civile, aux mains d’un exécutif qui entend ne rien entendre et qui, peut-être, joue la stratégie du pire : si le chaos survient, il pourra toujours arguer qu’il est le garant de l’ordre ».

Macron, garant du chaos

Tout le monde a bien compris la manipulation idéologique de la macronie : créer des scènes de violence, en rendre responsables les citoyens qui expriment leur contestation pour tenter d’apparaître comme le garant de l’ordre. Une petite musique qui s’adresse avant tout au cœur de son électorat, fait de personnes âgées et de catégories sociales supérieures. La ficelle est grossière. Il est étonnant et remarquable que des éditorialistes de la pensée dominante et nombre de titres de la presse internationale ne tombent pas dans le panneau. Comme si Macron finissait par leur faire peur avec sa raideur et son déphasage complet : et s’il tendait si fort la corde qu’elle allait se briser et finir par renverser l’ordre existant, ouvrir la voie à un changement radical ? 

Il y a l’entêtement à maintenir le projet sur les retraites. Un affront délirant, quasi obsessionnel. Mais s’ajoute de façon exponentielle la réponse policière qui semble se substituer à la politique. C’est comme si l’État demandait aux policiers et gendarmes de régler le conflit à leur place. Les manifestants sont nassés, arrêtés de façon arbitraire, repoussés par des bombes lacrymogènes pour un oui, pour un non. En France aujourd’hui, on peut finir en garde à vue pour s’être juste trouvé sur le chemin d’une manifestation ! C’est le retour des « volitgeurs » dissous après la mort de Malik Oussekine en 1986 sous Pasqua, et prenant aujourd’hui le nom de BRAV-M. Aller manifester, c’est prendre le risque de ne pas revenir entier, avec ses deux mains ou ses deux yeux. Non seulement Human Right Watch ou Amnesty internationale alertent mais aussi le Conseil de l’Europe ou la Défenseure des droits de l’Homme. La honte absolue. Et le gouvernement ne lâche rien, lui qui donne les ordres et fait de l’impunité à l’égard des violences policières une marque de fabrique. 

Tout ça pour un trou !

C’est à Sainte-Soline que nous avons dépassé l’entendement. De véritables scènes de guerre,abondamment décrites par des personnes présentes ou des journalistes. 3.200 policiers sur place et une grenade lancée toutes les deux secondes, c’est à peine croyable. La responsabilité des violences qui ont suivi, il ne faut pas être grand clerc pour la trouver là où elle est, dans cet ordre à déployer un tel dispositif et envoyer de telles charges. Et ce n’est pas une gazette gauchiste mais Le Monde qui a publié la retranscription d’une conversation téléphonique révélant que le SAMU a été empêché d’intervenir pour des personnes en danger de mort (2) ! Assommant, ce tournant pris par une simple et légitime mobilisation contre un projet dangereux pour les sols, l’eau, l’agriculture de qualité. J’ai ressenti l’onde de choc et le traumatisme dans le récit de collègues députés et amis présents. De la peur et de l’écœurement. Le bruit des grenades qui continuent de raisonner dans la tête, réveillant la nuit. L’image de ces centaines de blessés, parfois gravement et à quelques mètres de soi. Tout ça pour une lutte autour d’un trou, quel naufrage ! 

Alors que Serge D. et Mickaël B. se trouvent dans le coma entre la vie et la mort, le ministre de l’Intérieur multiplie les félicitations aux interventions des gendarmes et policiers, et s’en prend aux associations comme aux forces politiques – et singulièrement LFI – jugées responsables de la situation ! La dissolution des Soulèvements de la Terre (3), collectif créé en 2021, avec la Confédération paysanne ou les Amis de la Terre parmi les membres fondateurs, et luttant contre l’agro-industrie et l’artificialisation des sols, est une provocation inouïe qui s’ajoute à la violence des matraques et aux mutilations. Un acte rendu possible par la loi sur le séparatisme qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme islamique, s’est doté d’un arsenal permettant de criminaliser les mouvements sociaux. Un acte qui fait suite à la préparation idéologique de la macronie avec le terme abondamment diffusé d’« écoterrorisme ». Et pendant ce temps, les milices d’extrême droite peuvent continuer de sévir tranquillement… 

La macronie ment

Cette stratégie de la violence organisée par le gouvernement se double de l’usage répété du mensonge. « Être dans une manifestation non déclarée, c’est un délit », a affirmé le ministre de l’Intérieur dans Le Parisien le 22 mars. Totalement faux, le droit de manifester est protégé par notre Constitution. « Aucune arme de guerre n’a été utilisée par les forces de l’ordre » à Sainte-Soline, a également osé Gérald Darmanin. Tout aussi faux puisque des grenades modulaires 2, classées armes de guerre, ont bien été lancées. Et j’en passe… Des mensonges qui font écho à ceux d’autres ministres, comme Olivier Dussopt qui rabâche partout que la loi retraites serait bénéfique pour les femmes ou qu’elle prendra bien en compte la pénibilité. Il a même renversé les rôles en répondant à ma question d’actualité au gouvernement mardi dernier : « votre politique est anti-sociale », m’a-t-il lancé dans un accès de fièvre qui lui fait décidément perdre toute rationalité (4). Ou quand Elisabeth Borne explique au Congrès de Horizons le week-end dernier : « Nous avons fait la réforme que les Français attendaient ». Plus c’est gros, plus ça passe ? Rien n’est moins sûr ! 

La rage de gagner

Les jours de la macronie sont comptés. Alors que bien des pronostics relayés jusqu’en Une des journaux parient sur l’irrésistible ascension de l’extrême droite, je suis au contraire convaincue que tout dans la crise que nous traversons entre en écho avec une alternative sociale, démocratique, écologique. Le terreau est fertile. À l’opposition et la critique farouches indispensables pour mettre à terre la macronie et barrer la route au RN, il faut ajouter la contagion de l’espérance d’une société plus juste et la rage de gagner. Avec la Nupes, nous le pouvons, nous le devons.

Clémentine Autain

Menu