LES CADRES EN TÉLÉTRAVAIL, LES PROLOS AU CHARBON ?
TOUTES LES ACTIVITÉS NON INDISPENSABLES DOIVENT CESSER
Ce matin, je suis saisie par plusieurs récits que j’ai pu lire de salariés littéralement apeurés d’aller travailler dans des conditions sanitaires risquées alors même qu’ils n’occupent pas de métiers essentiels.
Nous connaissons la situation des personnels hospitaliers qui manquent de masques et de gel hydroalcoolique, de personnels et de lits – sans doute allons-nous massivement et brutalement prendre conscience des graves méfaits de trente ans de politique néolibérale… Les personnels médicaux sont les premiers au front, leur métier nous est évidemment indispensable. Les pouvoirs publics doivent les soutenir de façon concrète et urgente. J’ai trouvé bien étrange ces propos du ministre du budget Gérald Darmanin invité ce matin chez Jean-Jacques Bourdin : « la meilleure prime que l’on peut donner aux soignants, c’est de respecter les gestes sanitaires ». Bien sûr, nos gestes barrière sont décisifs mais cela ne peut dédouaner le gouvernement de prendre ses responsabilités en annonçant des primes, des moyens pour les personnels médicaux qui sont exposés comme jamais, avec des hôpitaux publics qui étaient déjà en burn out avec le coronavirus. Imaginons, espérons, bataillons pour que cette question puisse être au plus tard traitée quand le cœur de la crise sanitaire sera derrière nous…
Là, on pense également à tous les personnels indispensables qui travaillent pour la chaine alimentaire, les pharmacies, les tabac presse, les transports. Beaucoup ne bénéficient pas de gants protecteurs, de masques, de distance de sécurité avec les collègues ou les clients. Elles et ils partent travailler la boule au ventre. On peut arrêter beaucoup de choses mais pas de se soigner, ni de manger. Les gens qui travaillent dans ces secteurs doivent être encouragés, salués et munis au plus vite du plus vite de toutes les protections possibles. Mais pour les autres ?
Alors que le message « restez chez vous » est partout, comment expliquer que des emplois non essentiels soient toujours en activité ? Les dispositions légales de fermeture laissent, pour l’instant (mais le temps presse quand on lutte contre la propagation d’un virus), à l’appréciation des employeurs. Quand j’ai entendu cette précision, j’ai sursauté. Ce sont donc les employeurs qui sont juges pour décider de maintenir ou d’arrêter l’activité ? C’est là que des choix pris par les personnes concernées, les salariés eux-mêmes, prendraient tout son sens. Parce que, sinon, le résultat est aujourd’hui tristement effrayant… Songeons à tous les personnels des secteurs ubérisés…. L’exemple d’Amazone est tragique. Leurs entrepôts comptent entre 500 et 2.000 personnes et le groupe refuse d’appliquer les consignes de non-rassemblement de plus de 1000 personnes. Des cas avérés de coronavirus n’ont pas non plus débouché sur une cessation de travail – c’est aussi le cas, autre exemple, chez Dunlop en Picardie où les ouvriers ont dû continuer à travailler malgré un cas avéré de Covid19. L’activité d’Amazone n’est pas indispensable dans la période mais les personnels sont sommés d’aller au charbon. Ailleurs, les facteurs ou les personnels du chantier naval de Saint-Nazaire font valoir leur droit de retrait.
En Seine-Saint-Denis, 18 éboueurs travaillant pour Otus, filiale de Veolia de traitement des ordures ménagères, ont exercé leur droit de retrait, estimant que leur situation de travail présentait un danger grave et imminent. Abdelkader Dif, représentant du personnel CGT, explique au Monde : « Nous ne disposons d’aucun masque protecteur et nous manquons de gel hydroalcoolique. Ce matin, le directeur disposait de 14 gels de 100 ml pour 130 salariés ! Nous travaillons par équipe de trois, ça ne fait même pas un gel par équipe ! Et il faut ramener le gel en fin de tournée ! Nous exigeons un masque et un gel par salarié. D’autant que la fermeture des bars fait que nous n’avons plus aucun lieu pour nous laver les mains. Tout est fermé, on est seuls, on n’a rien ! Alors qu’en manipulant les déchets nous sommes deux fois plus exposés ». Certains camions-poubelles, qui desservent les villes de Sevran, Tremblay, Villepinte, Les Lilas, Pantin, Romainville et du Pré-Saint-Gervais, sont donc restés au garage ce matin. D’autres sont sortis, mais c’est que les collègues ont peur des représailles, beaucoup sont intérimaires.
Des grèves, comme en Italie, vont probablement s’enchaîner, et on le comprend, si les pouvoirs publics n’interviennent pas. Je partage totalement l’appel de Philippe Martinez de la CGT d’arrêter toute activité non essentielle. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a également déclaré que la priorité devait être la protection des travailleurs.
Le ministère du travail estime que seuls un peu plus de quatre emplois sur dix peuvent être effectués en télétravail. Pour les autres, la situation expose au virus et à une anxiété redoublée. Les profits ou la vie ? Choisissons décidément la vie.
Clémentine Autain