« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Libé – «Rien ne légitime le maintien de l’immunité de Benoît Simian»

Clémentine Autain

Le bureau de l’Assemblée nationale a refusé ce mercredi de lever l’immunité du député Benoît Simian, soupçonné de harcèlement sur son ex-femme. Une décision dénoncée par la députée Clémentine Autain, qui déplore les conditions dans lesquelles le vote a eu lieu et demande un nouveau débat.

Article ici : https://www.liberation.fr/france/2020/12/11/clementine-autain-rien-ne-legitime-le-maintien-de-l-immunite-de-benoit-simian_1808376

Le parquet de Bordeaux voulait le placer en garde à vue, mais Benoît Simian restera finalement chez lui. Au moins pour l’instant. Mercredi 9 décembre, le bureau de l’Assemblée nationale a refusé de lever l’immunité de Benoît Simian, député Libertés et territoires anciennement LREM. Il est pourtant visé par une enquête ouverte en août, pour des faits présumés de harcèlement sur son ex-femme. 

Une décision que la députée LFI Clémentine Autain a dénoncé dans une lettre écrite à Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. Elle y demande que le bureau de l’Assemblée nationale soit reconvoqué dans les plus brefs délais. Auprès de Libération, l’élue de Seine-Saint-Denis insiste sur le fait que les conditions dans lesquelles les discussions ont eu lieu ne permettaient pas de prendre une «décision éclairée».

Pourquoi avoir écrit une lettre à M. Ferrand, lui demandant de reconvoquer le bureau de l’Assemblée nationale dans les plus brefs délais ?

Mercredi 9 décembre, le bureau a pris une décision que je trouve très grave : refuser de lever l’immunité de Benoît Simian, ce que la justice demande pour l’entendre dans le cadre de faits de harcèlement conjugal. Or, les conditions dans lesquelles les discussions ont eu lieu n’ont pas permis une décision éclairée. D’abord, dans la convocation reçue, le point à l’ordre du jour concerné ne stipulait pas clairement qu’il s’agissait d’une décision concernant une levée d’immunité. C’était un intitulé particulièrement obscur : «Requête présentée en application de l’article 26, alinéa 2, de la Constitution». Il y avait une note de bas de page qui expliquait que nous pouvions consulter sur place un dossier à 10h30 alors que la réunion démarrait à 11 heures. L’ordre du jour avait l’air banal et je n’ai donc pas consulté le dossier. La réunion a été très courte. Il a été décidé de ne pas lever l’immunité avec notamment des arguments selon lesquels Benoît Simian se présentait devant la justice d’une part, et qu’il était considéré que c’était une «affaire privée». Et hop, pas de débat, le vote. 

On a vraiment été mis devant le fait accompli. Et j’estime que c’est une pratique inadmissible. Sous François de Rugy président, quand il y avait des levées d’immunité, l’ordre du jour le stipulait clairement, mot pour mot, et les débats en bureau duraient plusieurs heures. C’est en sortant de la réunion que j’ai découvert l’article de Mediapart qui relatait des faits autrement plus graves que ce que j’avais entendu, et qui dévoilait que la justice avait fourni à la femme de Benoît Simian un téléphone grand danger. Preuve qu’on est devant des faits inquiétants. Il y a aussi eu un non-respect d’une décision de justice, puisqu’il ne devait pas aller au domicile de sa femme et qu’il ne s’y est pas conformé. J’étais hors de moi quand j’ai compris la gravité de la décision de ne pas lever l’immunité. Ça ne peut pas se régler en dix minutes, sans aucun débat, avec un vote qui s’effectue comme un seul homme, si l’on peut dire.

Vous êtes pourtant attachée à l’immunité parlementaire. Peut-elle vraiment être considérée comme légitime dans le cas de cette affaire ?

L’immunité parlementaire est un mécanisme qui permet d’éviter que le pouvoir politique en place utilise la justice à des fins de règlement de compte politique vis-à-vis de ses opposants. C’est aussi un mécanisme qui protège la liberté d’expression. Mais là, il est question de harcèlement conjugal, qui pourrait être susceptible de dégénérer en violences. Je ne vois absolument pas ce qui légitime le maintien de l’immunité. En 2018, nous avons voté la levée de l’immunité parlementaire de Thierry Solère parce qu’il s’agissait d’accusations de fraude fiscale. Il me semble que cela devrait être pareil pour Benoît Simian au regard des faits qui lui sont reprochés.

J’ai demandé à M. Ferrand de reconvoquer le bureau afin que nous puissions avoir un débat sérieux. Ce n’est pas un petit sujet : il y a une femme potentiellement en danger. Je ne suis pas juge et ce n’est pas à moi d’avoir un avis tranché sur le fond de l’affaire. Mais nous avons suffisamment de signaux d’alerte qui nous obligent à être responsables et à prévenir le pire.

Cette décision envoie un signal très négatif à la société concernant la considération des violences faites aux femmes…

Cela soulève une question de principe. Ce sont des problématiques nouvelles qui se posent à nous. Jusqu’ici, la parole concernant les violences faites aux femmes n’avait pas encore éclos et ce type de cas pour des levées d’immunité ne se posait pas. La décision prise est grave car elle pourrait faire jurisprudence. Que cela vienne d’une majorité qui dit vouloir faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la grande cause du quinquennat, il y a de quoi tomber par terre.

C’est un signal dramatique envoyé à la société sur le manque de détermination du Parlement à lutter contre les violences faites aux femmes, mais c’est également un signal délétère envoyé sur le décalage entre le mouvement de la société et la représentation nationale. Même si on re-débat, l’issue sera peut-être la même, j’ai conscience d’être minoritaire dans cette assemblée. Mais il faut au moins une trace, car une telle décision ne peut pas passer comme une lettre à la poste.

Menu