Vous vous souvenez du film les 400 coups de Truffaut ? Le jeune Antoine raconte que sa mère est morte pour justifier une journée d’absence à l’école. Un énorme mensonge. Et cette réplique culte : « Plus c’est gros, plus ça passe ». Hier à l’Assemblée nationale, face à la macronie, elle trottait dans ma tête.
Dans une ambiance décidément étrange, l’hémicycle étudiait le projet de loi concernant le budget rectificatif, dit PLFR2. Ce qu’il contient et ne contient pas est significatif : aucun changement d’orientation n’est à constater. Toujours les mêmes obsessions, le même cap. Certes, les prévisions de soldes publics pour l’année 2020 s’avèrent plus réalistes : les hypothèses macro-économiques reprennent contact avec la réalité, anticipant une grande récession. Mais ce qui est envisagé, ce sont seulement des aides a minima, c’est-à-dire de timides mesures de soutien pour compenser la baisse des revenus. Sur les 110 milliards d’euros sur lesquels communique le gouvernement, ne sont budgétés en réalité que 42 milliards d’aides directes. Car l’essentiel de ce plan consiste en un report d’impôt et de cotisations, qui ne constitue qu’un simple jeu de trésorerie.
Le choc va être d’une immense violence. Pour y faire face, le gouvernement ne pense décidément qu’à une chose : relancer le système et non le changer. J’en veux pour preuve quelques éléments hautement symboliques et structurants sur lesquels insoumis et communistes, nous avons bataillé. Commençons par l’ISF. Sa suppression par LREM a conduit à un manque à gagner pour l’État de 3,2 milliards d’euros par an. Et 5% des contribuables les plus riches à empocher 6.500 euros par an ! Le haut du gratin a même conservé 26.363 euros. En temps « normal », le niveau d’indécence est déjà au top mais là, en pleine crise sanitaire…. Cette somme, nous pourrions très simplement la récupérer : il aurait suffi hier de voter le rétablissement de l’ISF. En un clic sur nos pupitres, et nous aurions pu introduire un peu de justice de ce monde de brutes. La période est si tendue que mettre à contribution les plus riches, ce n’est pas du luxe. Mais ce fut trop pour le gouvernement et les députés LREM. Nos amendements sont restés sans suite et sans véritable réponse. « Ce n’est pas opportun », « cet argent sert à l’emploi et l’investissement », et patati et patata. Un rapport des plus officiels a pourtant bien montré que l’impact sur l’économie réelle de la suppression de l’ISF était nul. C’est juste un cadeau pour les plus riches. Point barre. Juste injuste. Et le pouvoir s’entête, même quand le désastre social s’amplifie gravement et s’étale au grand jour.
Alors nous avons continué en proposant, entre autres, le gel des dividendes. Le gouvernement pourrait le faire par simple ordonnance. Comme nous n’avons rien vu venir, nous avons suggéré avec des amendements, tous rejetés. Leur dogmatisme apparaît effrayant quand on regarde les sommes dont il s’agit : depuis le début de la crise sanitaire, Axa a versé 3,46 milliards d’euros de dividendes. Allianz ? 4,75 milliards. BNP ? 3,9. Total ? 1,8. Vivendi ? 697 millions. Lagardère ? 130,5. Veolia ? 283,5. Etc. Des milliards et des milliards auraient pu être affectés à autre chose qu’à rémunérer les actionnaires. Mais la volonté politique n’est pas là.
Il est intéressant de voir qu’un certain nombre d’annonces ne se retrouvent pas dans la loi de finances rectificatives. Où sont les sommes correspondant à la mise en place d’une prime exceptionnelle versée par l’État de quelques centaines d’euros pour 3 à 4 millions de foyers précaires annoncé par le député Laurent Saint Martin mercredi 15 avril sur France info ? Pas dans le marbre de la loi. Idem pour le versement à certains agents de la fonction publique d’une prime exceptionnelle d’un montant pouvant aller jusqu’à 1000 €, pour un montant total de 300 millions, annoncé le même jour sur Europe 1 par le ministre Darmanin.
L’obsession de la dette et de la compétitivité restent les normes de pensée intangibles de la macronie. Or la dette est un faux problème, un prétexte à tous les renoncements et aggravation des inégalités, un dogme européen totalement mortifère. La dette peut et doit être effacée par un jeu d’écriture. La Banque centrale européenne (BCE) devrait être l’outil qui permet de racheter la dette des États et de la transformer en dette perpétuelle à intérêt négatif. C’est la solution que nous prônons pour redonner de l’air aux budgets publics et relancer l’économie non par des plans d’austérité successifs qui aggraveront le mal mais par des investissements nécessaires pour une transition vers une société de liens et de non de biens, vers une bifurcation sociale et écologiste.
Ce désaccord est majeur, comme celui qui conduit le gouvernement à renouveler toutes les niches fiscales favorables aux plus riches et aux grandes entreprises. Ce qui me fascine, c’est l’assurance magistrale du gouvernement et des députés LREM pour rembarrer nos propositions. Ils ne sourcillent pas, ils ne doutent pas, ils restent inlassablement enfermés dans leur carcan idéologique. Celui d’un monde qui nous a déjà trop meurtri ces dernières décennies. Il faut que ça cesse.
Dans la série des mensonges, on retiendra que le Président et certains ministres peuvent faire de jolies phrases pour nous expliquer qu’ils ont changé, que le monde d’après sera différent du monde d’après. Plus c’est gros, plus ça passe… La réalité est aussi têtue que cruelle : dans les actes, ce sont bien les mêmes politiques qui sont mises en œuvre. Je crois que leurs dogmes d’avant sont si profondément ancrés que le basculement vers d’autres normes sociales et écologistes leur est tout simplement inaccessible.
Mais le clou hier en séance aura été le débat sur le montant de la TVA sur le matériel nécessaire dans la crise du Covid (masques, gel..). Un amendement proposait de ramener cette TVA à 5,5%. D’autres visaient un 2,1%. On aurait pu imaginer une TVA à 0% mais figurez-vous que ce n’est pas possible : l’Union européenne ne veut pas ! Et alors, me direz-vous ? Eh bien la secrétaire d’État, Agnès Pannier-Runacher, n’imagine pas une seule seconde que nous puissions outrepasser l’avis de l’UE. Même en pleine crise, même pour du matériel vital, non, il n’est pas pensable de s’asseoir sur les règles édictées par la Commission européenne. Nous aurons donc une TVA à 5,5% sur le seul gel, et pour un an ! Misère. À cette occasion, j’ai fait remarquer que le problème principal restait la pénurie de ce matériel. La veille, on me racontait encore que des sages-femmes n’avaient que deux masques et non trois comme il le faudrait pour une protection courant sur une journée de travail. Le matin, j’ai pu constater la pénurie de gel dans une pharmacie. Surtout, les réseaux sociaux et les articles de presse pullulent de témoignages sur le manque cruel, notamment dans les hôpitaux et dans certains secteurs d’activité indispensables, de masques, de gel, de gants, de sur-blouses… la pénurie est sur toute la toile mais la secrétaire d’État ne voit pas de quoi nous parlons. Ne souriez pas, c’est effrayant. Voyez sa réponse de sur le gel hydroalcoolique : « 550 000 litres sont désormais produits par semaine, contre 48 000 litres auparavant. J’invite tous ceux qui cherchent du gel hydroalcoolique et des masques à se connecter sur la plateforme stopcovid19.fr » Les personnels soignants ne sont donc pas doués. Un coup de fil, et c’est réglé ! Plus c’est gros, plus ça passe… Pour l’anticipation de la production, on repassera.
Dans un pays comme la France, des médecins mettent des sacs poubelle en guise de blouse et le gouvernement, après plusieurs mois, n’a toujours pas de plan précis de fabrication du matériel indispensable pour affronter une crise sanitaire.
Clémentine Autain