« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

PLUS QUE JAMAIS, FAIRE DE LA POLITIQUE

Clémentine Autain

Un commentaire sur ma page Facebook, au sujet de notre tribune de groupes parlementaires insoumis proposant un plan de mobilisation sanitaire, déplore une « récupération politique ». Au même moment, le ministre Gérald Darmanin appelle à la « solidarité nationale » en mettant en ligne une plateforme de dons « pour permettre à tous ceux qui le peuvent, particuliers ou entreprises, d’apporter leur contribution à l’effort de solidarité de la nation envers les plus touchés ». En croisant ces deux lectures, j’ai immédiatement pensé : il faut décidément faire de la politique ! Il faut même plus que jamais faire de la politique.

La situation serait si grave qu’il ne faudrait pas donner son point de vue, ne pas exprimer sur la base de sa vision du monde des propositions alternatives aux choix du pouvoir en place, au risque d’apparaître comme un vautour qui se jette sur les victimes de la crise. Quelle curieuse appréciation. C’est précisément parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire face au coronavirus et une seule voie de sortie de la crise sanitaire que nous avons besoins du débat démocratique. Les appels à « l’Union nationale » me font parfois penser au « There Is No Alternative » de Margaret Thatcher. S’il faut une mise en commun des forces de la Nation pour combattre l’épidémie, il ne saurait être question de gommer les différences politiques. Donner à voir différents chemins, qui devront être tranchés par la bataille d’idées, les mobilisations sociales, les élections, c’est tout simplement défendre la souveraineté populaire et la démocratie. Sauf à sauter à pieds joints dans un régime si autoritaire qu’il pourrait finir en dictature. Les citoyennes et citoyens doivent penser la situation, être acteurs et actrices des orientations mises en œuvre, et pour cela se reposer sur les critiques et les idées mises en circulation.

Vient alors un exemple concret avec la proposition de Gérald Darmanin. Pour soutenir et déployer les secteurs indispensables pour faire face au coronavirus, le gouvernement a opté pour le don privé. Il aurait pu imaginer un autre système, qui s’appellerait l’impôt. Il aurait pu penser que ce serait juste et intelligent de mettre à contribution les plus riches, en rétablissant l’Impôt sur les grandes fortunes (ISF) par exemple. Il aurait pu aussi taxer les revenus financiers. Le gouvernement a fait un choix politique : recourir à la générosité au petit bonheur la chance et non à des mesures de partage, de justice sociale. Jouer la réponse à la crise comme un Téléthon, c’est une option, ce n’est pas la nôtre. Et j’assume de m’y opposer franchement et publiquement avec d’autant plus d’énergie que la situation est dramatique. Pourquoi le drame collectif supposerait que nous fassions silence, allégeance à ceux qui dirigent ? Non, je ne me tairais pas parce que la crise nous plonge dans le tragique. Au contraire, je nous invite à réagir, à imaginer les issues, à confronter nos visions et propositions.

La crise sanitaire est amenée à durer, et à prendre des formes qui vont évoluer. Raison de plus pour ne surtout pas gommer notre opposition mais au contraire la faire vivre, la frotter au réel. La politique n’est pas un exercice virtuel. Si le confinement renvoie chacun, chacune à sa sphère privée, à son échelle individuelle, l’espace public continue d’exister – même si je suis effarée de voir qu’il est amoché puisque les grandes émissions télévisées se passent des oppositions. Les décisions continuent de s’enchaîner, et même plus vite avec les ordonnances. Comme l’écrivait la philosophe Hannah Arendt, « ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce n’est pas, principalement du moins, le nombre des gens ; c’est que le monde qui est entre eux n’a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier, ni de les séparer.« 

On ne va pas se contenter de compter les morts en attendant le retour à la normalité. Comme l’énonce un slogan de notre époque, c’est la normalité qui est le problème. Non il ne faut pas chercher à relancer la machine, comme l’espère le gouvernement, mais changer la machine, celle qui donne tout pouvoir à la finance et se moque de nos besoins, de nos vies.

Pendant la crise elle-même, le discours politique est décisif parce qu’il donne un sens. Si rien ne doit plus être comme avant, si nous tirons des leçons du moment tragique que nous traversons, alors il faut commencer par penser l’horizon que nous voulons atteindre. Comme disait l’intellectuel communiste Lucien Sève, qui vient d’être emporté par le Coronavirus : commençons par les fins !

Clémentine Autain

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