La journée du 20 février 2025 sera, pour moi, marquée d’une pierre blanche. Nous avons emporté une forte victoire : notre proposition de loi, portée avec ma collègue Éva Sas dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Écologiste et Social, pour un impôt plancher de 2% pour les ultra-riches a été adoptée.
La leçon du 20 février est triple. Quand le NFP est uni et mobilisé sur l’essentiel, il peut gagner. Le dogmatisme néolibéral de nos opposants à droite est terriblement coriace et édifiant. La confrontation avec le RN se joue dans l’opposition entre leur obsession identitaire et notre passion de l’égalité : la justice fiscale en est un terrain potentiellement porteur pour le camp de l’émancipation.
Oui, nous avons obtenu une victoire hautement symbolique, celle d’un Nouveau Front Populaire uni et mobilisé pour mettre un peu de justice fiscale dans ce monde où explosent les inégalités et où la progressivité de l’impôt se transforme en dégressivité pour les 0,01% les plus riches. Un impôt modeste, qui vise environ 1.800 foyers fiscaux, mais qui peut rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros, selon les calculs de l’économiste Gabriel Zucman dont nous nous sommes inspirés. Une somme conséquente dont nous avons bien besoin pour réparer nos services publics ou enclencher concrètement la transition écologique.
Voilà à quoi peut servir une gauche et des écologistes rassemblés, adossée à une mobilisation citoyenne. Ce serait bien de ne pas l’oublier, de ne pas nous cantonner au spectacle pathétique de nos divisions, de ne pas sombrer avec nos querelles nombrilistes sans fin, de ne pas oublier que la vague brune déferle à un niveau planétaire et qu’une victoire du RN en France serait d’une gravité extrême.
C’est important aussi de se rappeler que nos combats, il nous faut d’abord les gagner culturellement. La bataille des idées, en soutien à notre texte, menée par des économistes et des activistes, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, est essentielle, surtout dans un contexte de perte de repères politiques qui profitent aux idées dominantes et aujourd’hui, à l’extrême droite. La matinale de France Inter avec Gabriel Zucman et Camille Étienne a, par exemple, fait un bien fou. La mobilisation sociale et citoyenne est une clé décisive pour arracher des victoires. La gauche politique serait bien inspirée de rendre toujours possible cette convergence et articulation des rôles, dans le respect de la place de chacun.
La pierre blanche de cette journée, je la dois aussi à ce que j’ai entendu dans l’hémicycle. Je suis députée depuis 2017 et pourtant, hier, j’ai été particulièrement nauséeuse des propos aussi débridés qu’outranciers, dogmatiques que socialement violents venant des droites. C’était d’autant plus douloureux que sur les bancs du NFP, nous prenions la parole a minima, contraints par le temps puisqu’à minuit, tel Cendrillon, le couperet tombe, la journée d’initiative parlementaire s’arrête net.
Comme je ne cesse de le répéter tant ces deux chiffres de l’Institut des Politiques Publiques m’obsèdent et me révoltent, les Français.es paient en moyenne, en proportion de leurs revenus, 50% d’impôts et prélèvements, tout compris, de la TVA à l’impôt sur le revenu, en passant par les cotisations sociales. Les milliardaires, eux, n’en acquittent que… 27% ! Là est le scandale : le contournement de l’impôt par ceux qui gagnent des fortunes colossales qu’aucun « mérite », qu’aucun « travail », qu’aucune « réussite » ne peut légitimer. Et pourtant, notre proposition de taxer un peu, à 2%, le patrimoine de ceux qui ont tant, jusqu’à l’indécence, a suscité les qualificatifs suivants… Nous aurions « rallumé le bûcher ». Cet impôt à 2% est « excessif ». C’est une « fiscalité punitive ». Et puis, « l’économie va s’écrouler ». C’est même « le retour de l’URSS ». Et enfin, notre proposition de loi est « un cercueil dans notre modèle social »(sic).
En même temps qu’ils déversaient leur bile, dans un prêchi-prêcha néolibéral caricatural – « les milliardaires vont fuir », « ce serait une catastrophe pour nos industries et nos emplois », « il faut garder notre attractivité dans un monde ouvert » -, ces députés à droite toute ont tenté de vider notre proposition de loi de sa substance. Un amendement visait à exclure les mal nommés « biens professionnels » de l’assiette de cet impôt. Comme si la fortune de Bernard Arnault ou Françoise Bettencourt n’était pas structurée autour d’actifs financiers de leur propre entreprise, profitant de mécanismes d’optimisation via des holdings et qu’ils pouvaient avoir des problèmes de liquidité pour honorer ce modeste impôt, leur dû minimal au bien commun, pouvait être comparée au four du boulanger ou à la ferme de l’agriculteur. Ce qui m’a fascinée, c’est l’énergie que mettent ces élu.es de la République à protéger les ultra-riches, au mépris total de l’intérêt général et d’un fait simple : richesse et pauvreté sont des notions relatives. Et ce sont les mêmes qui ont eu l’idée d’abaisser le seuil de l’assiette de TVA pour les auto-entrepreneurs, les petits indépendants !
Les droites à l’Assemblée nationale ont perdu pied avec le réel et avec l’aspiration d’une large majorité de Français.es à la justice fiscale. 80% d’entre eux veulent le retour de l’Impôt Sur la Fortune. Ce jeudi 20 février, nous proposions d’imposer à seulement 2% le patrimoine de ceux qui détiennent plus de 100 millions d’euros, une fortune que nous avons même du mal à nous représenter. On n’imagine même pas quels besoins elle peut venir satisfaire. Et pourtant, le député Di Filippo (LR) en tête, lui qui a trollé toute la journée dans l’hémicycle, les droites n’ont eu aucun fard à défendre les intérêts de cette petite caste qui vole le bien public.
Quant au Rassemblement national, toujours pris entre leur fonds idéologique, opportuniste et économiquement libéral, et leur prétention à représenter les intérêts des catégories populaires, il s’est courageusement abstenu. Tout en votant l’amendement Lefèvre (EPR) d’exemption des biens professionnels, revenant ainsi à vider totalement de sa substance notre texte. L’hypocrisie à l’état pur. Le terrain de notre proposition de loi est un vrai marqueur pour combattre le RN. Encore faut-il que ses électeurs/trices soient informé.es de ces votes. Encore faut-il que le venin du rejet de l’autre, fondé sur le racisme et le rejet des prétendus « assistés », ne prenne pas le dessus sur toute autre considération. Encore faut-il qu’un autre projet, émancipateur, le nôtre, devienne massivement désirable. Là est désormais notre tâche.
Clémentine Autain