Tribune publiée par Libération le 6 juillet 2018 à lire ici
Si le texte réaffirme bien que le viol est un crime, il reste misérable dans son contenu. On est loin des déclarations d’intention du gouvernement, qui en a fait la grande cause nationale de 2018.
Le gouvernement a fini par entendre raison : le sens de l’article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes est enfin enterré. L’acte de pénétration ne pourra pas qualifier une atteinte sexuelle sur mineur.e, ce qui aurait conduit à favoriser le jugement des viols en correctionnelle et non aux assises. Le viol, défini par l’acte de pénétration depuis 1980, est un crime. Il le restera.
Au Parlement, nous avions, nombreux et de sensibilités politiques diverses, combattu cette hypothèse. La mobilisation féministe et citoyenne, les interpellations multiples de personnalités qualifiées auront eu raison de cette fausse route gouvernementale. La question du consentement de mineurEs en cas de viol reste néanmoins entière : contrairement à son engagement en réponse à ma question d’actualité suite à la triste affaire de Pontoise, le gouvernement a refusé notre proposition d’inverser la charge de la preuve quand la victime est un.e mineur.e de moins de 13 ans. L’occasion manquée est de taille. Il s’agissait que la justification des actes de viol pèse sur l’adulte, et non sur la victime, si jeune, une ou un enfant.
Projet misérable
Un recul sur l’article 2 ne saurait masquer la réalité qui est têtue : la loi contre les violences sexuelles et sexistes n’a pas eu lieu. Le projet soumis par le gouvernement est misérable. Et c’est là l’essentiel.
Alors que nous avions posé les mots, les pouvoirs publics devaient poser des actes. A la lecture et relecture de cette loi, dans un sens puis dans l’autre, nous pourrions croire qu’il ne s’est rien passé. Comme si la vague #MeToo n’avait pas déferlé. Comme si tous ces flots de témoignages bouleversants n’avaient produit aucun sursaut gouvernemental. Quatre maigres articles pour lutter contre ces violences sexistes et sexuelles, comportant au mieux une extension de quelques droits et sanctions, au pire un effet d’abaissement de la qualification juridique de certaines violences.
Je m’étais prise à rêver que, le temps d’une loi, sur un tel sujet, les normes comptables n’auraient pas pris le dessus. Que l’audace politique les aurait gagnés. C’est vrai, il eût fallu une vision globale, de la volonté politique, des moyens. Rien de tout cela ne se trouve dans ce document famélique qui ne répond aucunement aux besoins et au mouvement de la société.
Les violences faites aux femmes sont à la fois banales, quotidiennes, terriblement destructrices et si largement impunies. La réalité donne la mesure de la dynamique politique nécessaire : moins de 9% des femmes victimes de viol portent plainte, 70% des plaintes sont classées sans suite, seuls 1% des viols débouchent sur une condamnation.
Nous, législateurs, ne sommes pas là pour envoyer un simple signal. Les femmes victimes ne vont pas se satisfaire d’un «je vous ai compris» de pure communication. Le pouvoir politique a la responsabilité d’agir à hauteur des besoins et de l’évènement.
S’attaquer à l’ordre des sexes
C’est pourquoi il faut une tout autre loi, une vraie loi s’attaquant à l’ordre des sexes et offrant des réponses concrètes aux victimes. Seule une loi-cadre aurait permis d’affirmer une volonté de changement, incluant des moyens financiers et humains, et non de simples ajustements du code pénal. Il faut investir et agir franchement sur l’éducation, l’accompagnement des victimes, la formation des personnels de police et de justice, les représentations sexistes. Il faut se préoccuper de la récidive, enjeu littéralement absent du projet de loi gouvernemental.
Voici ce qui me sidère : comment la France, après le mouvement international #MeToo, a-t-elle pu décemment présenter un texte si en deçà de ce que l’Espagne a su voter dès 2004 ? Sous Zapatero, il y a bientôt quinze ans, une loi intégrale assortie de moyens financiers était adoptée, à l’unanimité. L’Espagne dépense aujourd’hui 0,54 euros par habitant pour lutter contre ces violences, contre 0,33 euros en France. En France, le budget pour les droits des femmes représente 0,0066% du budget total. Pas de quoi donner des leçons de féminisme…
Mais alors, ne racontons pas que la lutte contre les violences faites aux femmes est une cause nationale. Les grandes envolées, aussi justes soient-elles, se muent en indécence et instrumentalisation quand les moyens mis en face sont si dérisoires. L’ambition de cette loi s’est résumée à cinq millions d’euros supplémentaires. Une goutte d’eau. Quatre millions pour une campagne de sensibilisation et un million pour un appel à projets. C’est dire si la grande cause nationale de ce gouvernement est ailleurs. Aussi attristant que révoltant.