« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Vaccin à Sevran : espoir, fierté et inquiétudes

Clémentine Autain

Malgré les doutes et les hésitations, malgré le flou entourant les aspects financiers et contractuels, je suis ravie que l’hôpital René Muret à Sevran accueille une partie des premières doses françaises du vaccin à destination de ses patients âgés. Nous ne pouvons ignorer l’espoir que cela peut représenter. C’est une fierté que, dans notre territoire de Seine-Saint-Denis, soit ainsi impulsé la perspective de faire reculer le Covid 19. Je veux croire cet essai, également initié à Dijon, prometteur de la fin d’un tunnel de morts, de confinements, de privation de liberté, de tensions psychologiques de masse, d’intense dureté sociale, de panne de projection dans l’avenir.

La science peut être cette porte qui ouvre un avenir débarrassé d’une pandémie ravageuse. Je rappelle qu’historiquement, le vaccin est un progrès scientifique de grande ampleur. La découverte de ce mécanisme produisant des anticorps a permis de faire reculer de graves maladies comme la diphtérie, le tétanos ou la rougeole. Je le rappelle parce que les temps sont critiques à l’égard des vaccins, si critiques d’ailleurs que le non recours aux vaccins a conduit à la réapparition de maladies que l’on croyait d’un autre temps. Si cette méfiance vis-à-vis de ce progrès scientifique s’est déployée dans notre pays et ailleurs, c’est que la marchandisation de la santé, la destruction de l’écosystème et la défiance à l’égard des institutions ont jeté le trouble. Comment ne pas le comprendre ? De récents scandales, comme par exemple celui du laboratoire Servier avec le tristement fameux Mediator, parmi d’autres, ont donné à voir les dérives possibles de la recherche du profit comme mantra dans le monde médical et son funeste impact sur la vie humaine. Oui, nous avons besoin de garanties pour que la quête de rentabilité des entreprises pharmaceutiques ne prenne jamais le pas sur l’intérêt de la population. La santé est un bien commun qui ne peut prendre le risque de se jouer en bourse et doit être maitrisé par nous-mêmes, c’est-à-dire démocratiquement. C’est pourquoi nous ne cessons de revendiquer un pôle public du médicament. Laisser dans les mains du privé des enjeux aussi vitaux est tout simplement dangereux.

Ce qui, à mon sens, doit être mis en cause, c’est la compétition entre groupes privé, et les intérêts financiers qui l’accompagnent, pour trouver la voie médicale, accessible à toutes et tous, qui nous sorte de la nasse. Cette compétition tant vantée créé sans doute de l’émulation mais je crois ce mécanisme nettement moins efficace et sécurisant que la coopération d’équipes de recherche uniquement tournées vers le bien commun. Il n’y a qu’à voir les mouvements en bourse juste après les annonces de premières découvertes de vaccin. En laissant faire le marché, la puissance publique ne joue pas son rôle pour nous protéger de bout en bout. Cela ne date pas d’hier, ce sont des logiques profondes de ceux qui gouvernent, et au long court, qui nous ont tant coûté dans cette crise du Covid.

Mais cela ne me rappelle qu’avec plus de force que c’est dans ce même hôpital qu’on annonçait en 2019 un plan de fermeture de 179 lits de soin longue durée, menaçant le service de gériatrie. Les agents en grève nous alertaient sur la dégradation de la logique du soin, favorisant in fine la rentabilité des groupes gestionnaires des EHPAD… Le ministre Veran a bien fait de ne pas venir. Nous lui aurions alors rappelé que les maigres efforts consentis à ce secteur pourtant vital sont à des années lumières de ce dont nous avons besoin, d’autant que la Seine-Saint-Denis a payé un très lourd tribut humain dans cette crise sanitaire qui est aussi une crise politique. Pas d’inquiétude : nous aurons mille autres occasions de tirer la sonnette d’alarme et de tenir la dragée haute

Clémentine Autain

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