« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

MANIFESTONS PACIFIQUEMENT ET MASSIVEMENT

Clémentine Autain

Les gilets jaunes, les lycéens et étudiants, les manifestants pour le climat, sont appelés à déferler dans les rues, sur les places, autour des ronds-points. Le mouvement prend une ampleur et une coloration qui ne sont plus celles du début. Du rejet d’une taxe, on est passé à une révolte plus générale et contagieuse.

Voyant leurs parents lutter pour les fins de mois, les jeunes s’engagent à leur tour pour défendre leur avenir, menacé par les réductions budgétaires et la logique discriminante de ParcourSup. Après deux semaines et demie de contestation sociale inédite dans notre pays, le gouvernement a annoncé la suspension de la taxe carbone. Cette première réponse, bien tardive et si faible, apparaît en total décalage avec l’exaspération qui monte, avec le malaise démocratique qui saute aux yeux, avec la dureté et le coût infernal de la vie que le monde populaire en ébullition ne supporte plus. A minima, rétablir l’ISF eut constitué un début d’écoute…

L’arrogance et le silence assourdissant du président des riches alimentent la révolte. Visiblement, au sommet de l’État et dans les sphères de pouvoir, les clés pour comprendre ce qui se passe, ce qui se trame, manquent cruellement. Une phrase d’un gilet jaune sortant d’une rencontre avec le ministre de l’écologie m’a profondément marquée : « on ne sent pas la volonté d’améliorer la vie des gens ». Ces gouvernants semblent à distance totale de la souffrance de millions de Français. Ils sont englués dans leurs normes comptables, aveuglés par leurs certitudes libérales et autoritaires, empêtrés dans leur course effrénée à la compétitivité. Dans leur monde d’ancien régime, les nantis sont dispensés du moindre effort, et même subventionnés par l’État, pendant que les manants doivent payer une dîme et une gabelle toujours plus lourdes. C’est bien méconnaître l’histoire de France que d’imaginer que ce cours des choses puisse inlassablement perdurer, tant l’aspiration à la justice sociale est profondément ancrée dans notre pays.

Macron et le gouvernement semblent sidérés par une telle insurrection. Alors ils rabâchent « l’appel au calme », tout en assumant que leur cap politique est le « bon », celui qui précisément met en colère. Alors ils intiment l’ordre de « défendre la République » alors qu’ils en sapent méthodiquement les valeurs, bafouant la liberté, l’égalité, la fraternité. Les petites vidéos de députés macronistes sur les réseaux sociaux, toutes ridiculement sur le même mode, pourraient prêter à sourire si l’enjeu n’était pas si sérieux. Bien sûr qu’il faut que les manifestations se déroulent pacifiquement, notamment parce que c’est une condition pour entraîner plus encore. Mais leur rêve est que les destructions et images de violences puissent devenir le prétexte à ne plus contester et prennent le pas sur la violence sociale quotidienne. Le gouvernement rend hommage aux forces de l’ordre mais ne prend pas la mesure de certaines violences policières et ne semble pas réaliser que c’est par ailleurs l’attitude du pouvoir en place qui met en danger les policiers. La crise sociale n’attend pas des blindés militaires mais une réponse politique.

L’issue n’est pas jouée mais il y a du grain à moudre pour les tenants de l’émancipation humaine. À cette heure, la crise environnementale est un ultimatum qui résonne avec les revendications sociales massives de ces dernières semaines. L’urgence climatique nous pousse vers une autre voie, qui est un nouvel horizon politique.

La convergence inédite qui peut s’affirmer ce samedi doit pousser dans le sens de la justice sociale et écologiste, de l’attachement aux libertés et à la démocratie, de l’égalité entre les personnes et les territoires.

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