Notre responsabilité historique face à leur croisade et leur renversement d’alliance
L’accélération est vertigineuse. L’extrême droite se trouve draguée, adoubée, banalisée d’une main par un Medef vent debout contre la taxe Zucman, et de l’autre main par un « bloc central » aux abois qui, pour se maintenir au pouvoir, fait ses petites affaires avec le RN à l’Assemblée nationale. Ce double glissement de terrain est en réalité un séisme. Qui impose de ne pas jouer avec le feu.
Croisade du Medef : plutôt le RN que la taxe Zucman !
Une chose est claire : le Medef est en campagne. Il déploie toute honte bue son fanatisme pour la loi du profit, la politique de l’offre et les gagnants de la globalisation. Il le fait sur un ton de colère rarement atteint. Prenons-le d’abord comme un hommage : nous avons fait bouger les lignes.
L’idée d’un simple impôt plancher de 2% sur le patrimoine de ceux qui possèdent plus de 100 millions d’euros suscite la furie. Nous aurons tout entendu : « bolchévisme », « Cuba sous le soleil », « ruine de notre économie »… Le très haut patronat a perdu pied. Et ose tout, à commencer par l’indécence.
La défense hallucinée des intérêts d’une petite poignée d’ultra-privilégiés conduit à des mensonges mille fois répétés sur la taxe Zucman, proposition de loi que nous avons et fait voter à l’Assemblée nationale avec ma collègue Éva Sas. Les agents du Medef mélangent cet impôt visant des contribuables particuliers avec les intérêts des… PME, dont l’existence même serait mise en péril par cet impôt sur le patrimoine des ultra-riches, qui ne touche évidemment pas les patrons de moyennes et petites entreprises ! Ils détournent l’attention en focalisant le débat sur ceux qui n’auraient pas les liquidités pour honorer ce nouvel impôt, ces cas ne représentant pourtant qu’environ 1% des contribuables concernés et les solutions simples pour y remédier n’étant pas compliquées à imaginer. Ils affolent sur un prétendu exil fiscal, alors qu’une étude du Conseil d’Analyse Économique a montré qu’une taxe de ce type, à 1%, ne ferait fuir qu’entre 0,003% et 0,03% des personnes concernées. Ils hurlent à l’inconstitutionnalité au moment où une tribune parue dans Le Monde d’un collectif de 33 juristes et politistes invalide une telle affirmation.
Cette propagande se déploie à grands renforts de médias. Selon Marianne, la presse a produit 62% de papiers contre cette mesure de justice fiscale plébiscitée par 86% des Français.es, et seulement 17% en sa faveur. La bollorisation des médias fait son œuvre. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !
La cible du Medef est claire : c’est le mouvement populaire, qui aspire à la justice fiscale, et les forces de gauche, qui émettent des propositions en ce sens. Et il s’est trouvé un allié chaque jour plus affiché : le RN. C’est du donnant-donnant. Le parti de Marine Le Pen a fait le choix de ne pas déranger les intérêts du capital, de ne pas toucher aux rentiers, de ne pas s’attaquer à ceux qui profitent de l’ordre fiscal injuste. Le Medef n’est plus seulement le lobby ami de la macronie et de la droite. Il est un agent de l’ascension de l’extrême droite au pouvoir, actualisant un vieil adage : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ». Chacun y trouve son compte. Si le RN arrive au pouvoir, le Medef pourra compter sur lui. Et le RN peut compter sur le Medef pour arriver au pouvoir.
Tournant : le « bloc central » avec le RN à l’Assemblée
Pendant ce temps-là, sur le terrain institutionnel, un renversement d’alliance s’est produit. Le contexte n’était pas très grand public : c’est à l’occasion du renouvellement des instances de l’Assemblée nationale que l’union entre le RN et le « bloc central » fut consommée les mercredi 1er et jeudi 2 octobre.
Avec la dissolution imposée par Macron, les élections législatives de 2024 avaient vu s’affirmer une digue face au RN. N’oublions pas également qu’Emmanuel Macron, par deux fois, a bénéficié de ce rejet du RN pour être élu président de la République (je vous rappelle : « ce vote m’oblige »…). C’est d’ailleurs ce front contre le RN qui a permis à de nombreux députés macronistes de sauver leur peau il y a un an. Et qui, avec la dynamique du Nouveau Front Populaire, a empêché Marine Le Pen et ses amis de l’emporter. Ainsi, par l’affirmation que le RN n’est pas un parti comme les autres dans le champ républicain, tous les pronostics d’une victoire de l’extrême droite ont été déjoués.
Ce château de cartes s’est renversé. Il était fragile, bancal, bricolé. Mais il correspondait à une aspiration forte dans notre pays. Alors quand nous avons vu les votes des députés RN converger avec ceux du « bloc central » pour se répartir tous les postes à l’Assemblée, de la présidence aux secrétaires du bureau, en passant par les présidents des commissions, et j’en passe, ce fut à vomir. Main dans la main, RN et macronistes ont éliminé la gauche partout où ils le pouvaient. Dégoûtant. Et terriblement dangereux.
Il faut ajouter à ces petits arrangements entre amis les déclarations du Premier ministre. Sébastien Lecornu a fermé toutes les portes à gauche pour mieux s’ouvrir à la bienveillance du RN. Tout à sa course pour faire rentrer un rond dans un carré – la politique macroniste dans un « nouveau gouvernement » de « rupture » -, il ne s’embarrasse pas de cohérence républicaine et politique à l’égard du RN. Ne pas être censuré vaut bien quelques courbettes à Marine Le Pen. Et plus si affinités. Le glissement idéologique de la macronie vers la droite dure n’est pas nouveau mais il s’oriente vers un grand dérapage.
Face à un tel tableau, la gauche peut-elle continuer à compter ses divisions ? Se complaire dans le match de la défaite entre Raphaël Glucksman et Jean-Luc Mélenchon ? Reconstituer ses petites chapelles au moment même où nous imposons nos thèmes, où nous gagnons des batailles d’idées essentielles, où la mobilisation sociale et syndicale fait son œuvre ? Chacun jugera. L’histoire aussi.
Clémentine Autain