Piloter notre économie pour servir nos besoins

Plans sociaux, colère des paysans…

Y a-t-il un pilote dans l’économie française ?

 

Encore un plan social, chez Brandt, avec plus de 700 salarié·es sur le carreau. Encore un mouvement de colère des paysans, traités avec tant de mépris et soumis aux grands vents du libre-échange. Encore une installation de « Data Center » pour servir l’I.A., aux Pennes-Mirabeau à Marseille, suscitant la mobilisation des habitant·es.

Laisser-faire, c’est agir. C’est détruire. C’est accompagner des logiques prédatrices. Or la France a les moyens de piloter son économie. Et elle peut s’engager au sein de l’Europe et à travers le monde pour que d’autres modalités d’organisation régissent les échanges commerciaux et pour donner un autre sens à la production.

 

Aujourd’hui, nous subissons.

Oui, nous subissons la désindustrialisation, les vies brutalement dévastées, la perte de savoir-faire et de souveraineté. Oui, nous subissons une agriculture maintenue sous respiration artificielle, servant le modèle productiviste, alors que l’agro-industrie se gave et que l’insécurité alimentaire explose. Oui, nous subissons la transformation de notre économie avec l’I.A., qui n’a rien d’intelligent, ni rien d’artificiel mais tout de la folie écologique, de la pression accrue sur les salaires et les conditions de travail.

 

Notre pays qu’est la France, qui ne fabrique déjà plus de réfrigérateurs, ne produira donc plus de fours, ni de plaques de cuisson. Nous voici incapables de produire en proximité ce dont nous avons besoin et de contenir le grand déménagement du monde. L’État laisse la majorité de nos paysans travailler inlassablement sans revenus dignes pendant qu’explosent les problèmes de santé publique liés à une alimentation de mauvaise qualité, qui touche d’abord les plus défavorisés. Il prête main forte à un projet typique des appétits insatiables du capitalisme avec des centres de données énergivores, alors que la planète brûle, et qui exploitent une main d’œuvre « bon marché » et corvéable tout en menaçant nos libertés.

 

Ces évolutions ne tombent pas du ciel : elles sont le résultat de choix politiques. Elles conduisent à l’effondrement à bas bruit de notre économie. Il y a ce qui fait l’actualité et tout ce qui se vit dans les chairs, en silence. Je pense aux commerces de proximité qui ferment les uns après les autres, ou qui ont tant de mal à tenir, avec parfois des salariés qui triment mais n’arrivent pas à se tirer un salaire à la fin du mois. Pourtant, nous déplorons la dévitalisation de tant de centres-villes, surtout dans les territoires populaires. Je pense aussi au monde des arts de la culture qui s’écroule littéralement à coups de réduction de la dépense publique, de bollorisation et de rétrécissement programmé de l’offre. C’est un appauvrissement massif. Je pense enfin au monde associatif qui enchaîne les suppressions de postes et s’est mis en mode « survie » alors que ce secteur est l’un des poumons de notre pays.

 

Ces trajectoires économiques sont présentées comme inéluctables. Nous sommes comme hébétés devant cette mondialisation qui apparaît indomptable et montre chaque jour ses effets désastreux. Comment se réjouir d’une internationale des échanges si c’est pour dévaster les économies locales et l’écosystème, pour augmenter les inégalités et les emplois au rabais ?

 

Il faut prendre les choses en main, avec un État stratège. Non pas un État qui fait tout lui-même mais qui soit capable de piloter l’économie pour la réorienter au service de nos besoins authentiques – et pas des besoins du capital de s’accroître. Un État qui sert deux grands objectifs : la préservation de la planète et des emplois de qualité, pour toutes et tous. Relocaliser l’activité est un impératif écologiste et social. Et contrairement à ce que l’on nous raconte, nous avons des leviers pour le faire.

 

Nous regardons passifs la Chine et les États-Unis nous imposer des droits de douane explosifs, nous submerger de produits fabriqués chez eux. Et nous mépriser. Comme nous n’avons pas investi de manière stratégique dans la production de panneaux solaires ou de voitures électriques, les Chinois déversent leurs biens. Comme nous avons accepté d’une poignée de main, celle d’Ursula Van der Leyen, d’être roulés dans la farine, nous essuyons l’offensive de Trump qui a bien l’intention d’exporter son bœuf aux hormones ou son aluminium. La guerre commerciale n’est pas souhaitable mais la liquidation de notre économie, non plus !

 

C’est pourquoi nous avons besoin d’une stratégie d’État pour protéger notre économie et développer les secteurs essentiels à nos besoins, à la résorption de la crise climatique et à notre souveraineté. La fiscalité, les aides publiques et la règlementation sont des outils puissants de pilotage. Si nous mettons à contribution les grands groupes économiques et les ultra-riches, nous aurons également de quoi investir. Et de nouvelles formes de propriétés publiques, dans les secteurs que nous jugeons prioritaires, doivent permettre de sauver des entreprises et d’avoir une part d’activité directe dans l’économie. Faciliter les reprises par les salariés et leur donner plus de pouvoir dans l’entreprise est également un levier d’action. Combien de grands groupes ferment des usines pour dégager plus de dividendes alors que l’activité est rentable ? Cela doit cesser !

Pour protéger notre économie de la concurrence déloyale et du dumping social, il faut également assumer une stratégie de taxes aux frontières, européenne et/ou française. L’urgence, c’est déjà d’en finir avec les traités de libre-échange, à commencer par le Mercosur ! L’Union européenne en a la responsabilité. Mais la France doit mener la bataille de conviction pour changer cette posture de soumission de l’U.E. à la loi du plus fort et à l’abaissement généralisé des salaires et des normes. Et, si nous n’arrivons pas à dégager un accord sur ce point, il faudra assumer de nous émanciper de ces normes imposées par l’U.E. qui contreviennent à la souveraineté populaire et à notre bien commun.

 

Je crois essentiel de proposer au monde un autre modèle d’échanges, basé sur la coopération, et non plus la dérégulation, en commençant par l’échelle européenne et par des alliances à nouer avec des pays du Sud global. C’est précisément une vision du monde que nous avons à défendre face à Trump et Poutine.

Nous arrivons à la fin d’un cycle : la financiarisation de notre économie. L’internationale réactionnaire et autoritaire prend appui sur le ressentiment qu’a nourri ce modèle pour avancer sa vision du monde. Celle-ci est faite de liberté des dominants et de fin de l’État, de chacun-pour-soi et de haine pour tous, de déni climatique et de mépris des sciences comme de la culture, de fin des sécurités collectives et de jouissance sans entraves des marchés et des prédateurs.

 

Face à cette déferlante qui déploie les peurs et les menaces, c’est une tout autre logique que nous devons affirmer. Celui du partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps de la vie. Celui de la bifurcation écologiste. Celui de la justice.

Sécuriser nos vies aujourd’hui, ce n’est pas généraliser la surveillance. C’est permettre à toutes et tous de manger sainement, d’avoir un emploi qui ait du sens et un salaire qui permette d’en vivre, de pouvoir se soigner sans se ruiner, de bénéficier d’un logement abordable et digne. C’est bénéficier d’une éducation et d’un accès aux arts et à la culture qui donnent des clés de compréhension du monde, pour pouvoir s’y insérer et le transformer.

 

En paraphrasant Alice au pays des merveilles, nous devrions nous convaincre que si ce monde n’a aucun sens, rien ne nous empêche d’en inventer un. Là est l’urgence.

 

Clémentine Autain

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