« On devrait pouvoir s’offrir quelques années de printemps » Marguerite Duras

Cinéma : commission d’enquête sur les violences

Clémentine Autain

À l’unanimité, l’Assemblée nationale a adopté la création de la Commission Godrèche sur les violences sexistes et sexuelles commises dans le cinéma. Discours de Clémentine Autain à la tribune de l’Assemblée nationale lors du vote, le 2 mai 2024.

 » Elle parle, et il est temps qu’elle nous entende. C’est une revenante des Amériques qui est venue donner des coups de pied dans la porte blindée. Judith Godrèche, après l’affaire Weinstein, après les mots d’Adèle Haenel, après toutes celles qui ont osé parler et braver la bienséance. 

Elle nous dit que : « Le cinéma est fait de notre désir de vérité et de notre besoin d’humanité. » Pouvons-nous regarder en face la réalité et la transformer ?

À chaque nouvelle vague #Metoo, nous engrangeons les témoignages. Un océan de viols, d’agressions, d’humiliations. C’est une industrie. Ces actes de domination passent par la sexualité mais ils n’ont qu’un seul but : soumettre l’autre, le transformer en objet, le réduire à néant. Il est plus que temps de le comprendre : « le viol est davantage une question de pouvoir que de sexe », comme l’écrit Neige Sinno dans Triste tigre.

Le monde du cinéma est un univers de pouvoir. On y brasse beaucoup d’argent et on y gagne beaucoup de prestige. Mais la gloire côtoie la précarité. C’est un territoire parfait pour la possession et l’emprise. Pour elles, intermittentes, jeunes, avec la peur de perdre son travail et d’être blacklistées dans un univers clos sur lui-même, c’est le secret, le déni, la chape de plomb. Pour d’autres, les « génies créateurs », les « fabricants de muses », les « révélateurs de talents », c’est l’artifice de la scène, le grand jeu qui donne toutes les permissions, avec les spectateurs pour juges. Sordide. 

Il est plus que temps d’agir. D’abord pour remettre les choses à l’endroit : que la victime qui parle ne soit pas mise au ban mais protégée, soutenue, que le prédateur qui agresse ne soit pas protégé mais éloigné, neutralisé. Cette commission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma et l’audiovisuel est un premier pas, essentiel. Commencer par prendre la mesure de ce qui se passe, par comprendre les mécanismes à l’œuvre, et saisir l’ampleur du phénomène, c’est la première pierre de toute politique qui ne se réduit pas aux effets d’annonce. Cette commission est aussi le moment, pour toutes les personnes qui seront auditionnées sous serment, de dire la vérité.

Mais ne nous trompons pas. Après ce texte voté et cette commission mise en œuvre, il nous faudra des mesures concrètes, qui préviennent et contraignent, pour arrêter le massacre et empêcher les agresseurs d’opérer dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, et plus globalement des arts et de la culture – je pense à cet appel de 400 écrivaines, éditrices et enseignantes chercheuses récemment paru pour nous interpeller. Nous serions bien inspirés de considérer le travail remarquable produit par la CIIVISE qui, sous l’impulsion d’Edouard Durand, étonnement remercié depuis, a mis 82 propositions sur la table.  

Pendant ce temps, Dominique Boutonnat, le président du CNC, l’instance qui donne des aides et régule les marchés du cinéma et de l’audiovisuel, reste, lui, bien en place, à son poste. Il sera pourtant jugé en juin pour agression sexuelle sur son filleul. Mais circulez, il n’y a rien à voir ! 

Alors que le #MeToo du cinéma n’en finit pas, quel signal est envoyé ? 

Sans doute le même que quand Emmanuel Macron nous dit que Gérard Depardieu est victime d’une « chasse à l’homme » et qu’il « rend fier la France » – l’acteur sera jugé en juin pour agression sexuelle. Ou quand le président de la République remet la légion d’honneur à Thierry Ardisson au moment même où des extraits d’une interview ignoble de Christine Angot refont surface à l’occasion de la sortie de son film, Une famille, qui m’a bouleversée et qui fera date. Elle publiait « L’inceste », il reprenait allègrement les termes des critiques littéraires de l’époque la qualifiant de pute et son éditeur de proxénète, dans une ambiance d’hilarité générale. 

Quand est-ce que tout cela s’arrête ? Cet aveuglement, cette indécence, cette violence.  

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui, portée par notre collègue Francesca Pasquini, est une réponse salutaire. Je me réjouis des élargissements apportés à la version initiale, en bonne intelligence, lors de son examen en commission. Il ne s’agit pas seulement des mineurs, mais aussi des adultes. Nous ne nous limitons pas aux lieux de travail mais visons les lieux d’apprentissage. Nous élargissons le champ d’enquête à l’audiovisuel, à la publicité. Nous nous engageons à analyser les mécanismes de domination et à en déterminer les responsables. Tous ces ajustements vont dans le bon sens. 

Un regret : l’absence des « femmes » qui ne sont intégrées que comme victimes majeures. Elles n’apparaissent pas en tant que telles. Ce sont pourtant bien elles qui sont l’objet de la domination masculine qui irrigue toutes ces violences sexuelles. 

Nous voterons pour la commission Godrèche. Pour que lumière soit faite. Pour l’écoute. Pour changer les rapports de force. Enfin. 

L’arc réactionnaire qui voudrait ne rien voir n’a pas disparu. Il attend que la vague passe. Et les vagues reviennent. Elles ne s’arrêteront plus. »

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